Le suicide

1
Le suicide et le maintien de lidentité
malgré des changements culturels radicaux
Michael Chandler Université
de la Colombie-Britannique
Présentation à loccasion du Forum national de
politique de lAssemblée des Premières Nations,
le 19 avril 2005
2
Le suicide chez les jeunes une détresse
culturelle comparable à celle du canari
prisonnier du houilleur
3
Introduction

• Les travaux que je mapprête à exposer
  sinscrivent dans une vaste recherche qui porte,
  par ordre décroissant de généralité, sur
• Les sens possibles de lindividualisme et de
  lidentité individuelle
• Le processus du développement de lidentité
• La difficulté dacquérir de la persévérance
  personnelle et culturelle dans un univers en
  changement
• La forte probabilité que le suicide chez les
  jeunes soit le résultat de lincapacité
  personnelle et culturelle dacquérir un sentiment
  de continuité dans le temps.

4
Trois questions directives

• Comment se fait-il, étant donné le caractère
  inévitable du changement, que des personnes et
  des cultures entières réussissent à conserver
  leur identité au fil du temps?
• Comment se fait-il que les jeunes en général, et
  les jeunes Autochtones en particulier, tentent de
  senlever la vie et réussissent dans des
  proportions considérablement plus élevées que
  chez les autres groupes dâge?
• Comment en est-on arrivé au Canada à une
  population autochtone, en particulier ses jeunes,
  qui affiche le plus haut taux de suicide connu de
  tous les groupes culturels identifiables dans le
  monde?

5
Quatre parties faciles - Survol -

• Partie I La règle de la personne au client
• Partie II La continuité personnelle chez les
  jeunes suicidaires et non suicidaires
• Partie III Lépidémiologie du suicide dans les
  collectivités des Premières Nations
• Partie IV Mesures potentielles et incidence
  politique

6
Partie I La règle de la personne au client

• Lantinomie de luniformité et du changement

7
Partie I La règle de la personne au client

• Pour rester des manifestations reconnaissables de
  la façon dont elles sont ordinairement perçues,
  les personnes et les communautés culturelles tout
  entières doivent satisfaire à au moins deux
  conditions essentielles
• Elles sont toutes les deux forcées par la nature
  temporelle de nos vies publique et privée de
  changer constamment.
• Malgré les changements inévitables, les personnes
  et les cultures doivent être toutes deux vues
  comme demeurant relativement les mêmes.
• Par conséquent, les continuités personnelle et
  culturelle (qui englobent luniformité et le
  changement) ne sont pas des caractéristiques
  facultatives des personnes ou de groupes
  culturels entiers, mais des conditions
  essentielles à leur existence.

8
Poupes et prouesLa vie est comme un yole qui
traverse le temps de sa poupe et de sa proue
trad..William James

• La thèse selon laquelle les manifestations
  précoces et tardives dune vie ou dune culture
  doivent en quelque sorte appartenir de manière
  intemporelle au seul et unique mouvement de
  continuité est vraie pour au moins deux raisons
  probantes
• Lune delles est la référence au passé
  typiquement historique
• Lautre consiste à anticiper lavenir, et se
  résume donc à assurer lavenir qui nous attend.

9
Partie II La continuité personnelle chez les
jeunes suicidaires et non suicidaires
10
Suicide chez les adolescents

• La continuité personnelle défaillante est
  FORTEMENT associée au risque de suicide.
• 83 des personnes suicidaires narrivent PAS à
  trouver un argument pour continuer de vivre (pour
  elles ou pour les autres).

11
Partie III Lépidémiologie du suicide dans les
collectivités des Premières Nations

• La continuité culturelle Un agent protecteur
  contre le suicide dans les Premières Nations

12
Étude en C.-B.

• Renseignements sur chaque suicide commis en
  Colombie-Britannique (19872000)
• Âge, sexe, date...
• Moyen choisi pour se donner la mort et facteurs
  connexes (p. ex., alcool, drogue et démêlés avec
  les forces policières)
• Emplacement géographique
• Statut dAutochtone

13
Suicide chez les Autochtones

• De tous les groupes culturels identifiables dans
  le monde, les Premières Nations du Canada
  connaissent le plus haut taux de suicide.
• Le suicide chez les Autochtones est trois fois
  plus élevé que dans lensemble de la population
  canadienne.
• Les jeunes Autochtones sont de 5 à 20 fois plus
  portés à se donner la mort que leurs pairs non
  autochtones.

14
Statistiques démographiques Jeunes
15
Les taux de suicide chez les Autochtones tiennent
de la fiction actuarielle

• Variabilité en fonction du
• district de recensement
• conseil de bande ou conseil tribal

16
Suicide par district de recensement
17
Taux de suicide chez les jeunes par bande (de
1987 à 2000)
18
Taux de suicide chez les jeunes par conseil tribal
19
QUESTION OUVERTE

• Quest-ce qui distingue les collectivités
  autochtones nayant rapporté aucun suicide chez
  les jeunes de celles qui connaissent des taux de
  suicide alarmants?

20
Ce qui ne fonctionne pas

• Emplacement urbain, rural ou éloigné
• Enfants et jeunes pris en charge
• Structure familiale
• Densité de la population
• Revenus insuffisants
• Chômage
• Niveau de compétence de la main-duvre
• Taux de scolarité

21
Reconstruction culturelle(ce qui fonctionne)

• Autonomie gouvernementale
• Revendications territoriales
• Éducation
• Services de santé
• Services de police et dincendie
• Installations culturelles
• Connaissance des langues autochtones
• Présence des femmes au gouvernement
• Services de protection de la petite enfance

22
Facteurs communautaires
23
Taux de suicide chez les jeunes par nombre de
facteurs présents dans la collectivité (de 1987 à
1992)
24
Taux global par nombre de facteurs (de 1993 à
2000)
25
Partie IV Mesures potentielles et incidence
politique

• Le mythe de lAutochtone monolithique
• Les connaissances autochtones, le transfert des
  connaissances et la mise en commun des pratiques
  exemplaires

26
Mesures potentielles et incidence politique

• Parmi plusieurs mesures potentielles ou
  répercussions politiques qui se dégagent de la
  recherche que jai résumée, je nen nommerai que
  deux
• Premièrement, les conséquences dexposer comme
  étant faux ce que jappellerai le mythe de
  lAutochtone monolithique.
• Deuxièmement, le taux faible ou absent de suicide
  chez les jeunes relevé dans de nombreuses bandes
  autochtones un fait qui semble suggérer un
  transfert plus latéral des connaissances et des
  pratiques exemplaires entre les collectivités
  autochtones.

27
I. Le mythe de lAutochtone monolithique la
fiction actuarielle selon laquelle il est
possible de saisir la diversité de la vie
autochtone dune province ou dun pays en posant
un seul regard (souvent statistique) sur
lensemble.

• Premièrement
• À elle seule, la C.-B. compte plus de 200 bandes
  autochtones qui parlent en tout 14 langues
  impossibles à interpréter entre elles, occupent
  diverses régions dun territoire plus vaste que
  lEurope de lOuest, habitent des zones
  écologiques et des mondes spirituels fort
  différents, et ont suivi un parcours totalement
  différent, aussi bien par rapport à la culture
  aujourdhui majoritaire que les unes par rapport
  aux autres. La recherche résumée plus tôt
  démontre clairement que cette diversité radicale
  sapplique aussi à la répartition des suicides
  chez les jeunes. Cest dire que les taux de
  suicide chez les jeunes relevés dans les diverses
  collectivités autochtones de la C.-B. présentent
  un tableau en dents de scie. Dans certaines
  collectivités, ils sont jusquà 800 fois plus
  élevés que dans la population nationale bien
  dautres plus de la moitié des bandes de la
  C.-B. nont rapporté aucun suicide au cours des
  14 années qua duré létude. Par conséquent, même
  si dun point de vue statistique il reste vrai
  que le taux de suicide chez les jeunes pour
  lensemble de la province est de 5 à 20 fois plus
  élevé que dans la population générale, ce résumé
  statistique ne nous apprend rien au sujet dun
  groupe ou dune collectivité auxquels il faudrait
  voir plus particulièrement.

28
Mesures potentielles et incidence politique Un

• Si
• Compte tenu des variations radicales du taux de
  suicide chez les jeunes (et de bien dautres
  choses) qui sont évidentes dans les collectivités
  autochtones de la C.-B., il nexiste en fait pas
  dAutochtone monolithique, aucun facteur autre,
  et rien de tel quun Autochtone suicidaire.
• Alors
• A) Tout compte fait, les déclarations générales
  créées à laide de moyennes arithmétiques
  établies depuis la véritable diversité culturelle
  existante tentatives de mettre tout le monde
  dans le même bateau se résument automatiquement
  à de la fiction actuarielle des mythes qui,
  en plus dêtre diffamatoires et carrément
  trompeurs, ont tendance à encourager le
  détournement des maigres ressources humaines et
  financières

29
Mesures potentielles et incidence politique...

• B) Aucune stratégie universelle pour régler le
  problème du suicide chez les Autochtones ne peut
  fonctionner. Plutôt, toute tentative sérieuse de
  régler ce problème ou des problèmes de santé
  connexes doit nécessairement débuter par des
  efforts concertés afin de déterminer comment de
  tels problèmes sont véritablement répartis dans
  la population autochtone.

30
Mesures potentielles et incidence politique
DeuxConnaissances autochtones, transfert des
connaissances et mise en commun des pratiques
exemplaires

• Deuxièmement
• De plus, notre recherche expose clairement
  lexistence dune vaste source de connaissances
  culturelles bien réelles mais peu exploitées sur
  la façon dont on pourrait régler le problème du
  suicide chez les jeunes Autochtones. Les
  résultats démontrent clairement que plus de la
  moitié des collectivités autochtones de la C.-B.
  connaissent des taux de suicide chez les jeunes
  qui sont inférieurs à ceux de la population
  générale, ce qui illustre de toute évidence que
  ces collectivités mêmes possèdent déjà des
  connaissances autochtones bien enracinées sur la
  façon de corriger le problème. Forcément, de tels
  groupes autochtones savent et font des choses
  quignorent ou que laissent de côté dautres
  collectivités (autochtones et non autochtones),
  où le suicide est fort répandu chez les jeunes.
  Si on donnait suffisamment dattention et de
  poids à cet état de fait, alors il deviendrait
  nécessaire de repenser du tout au tout deux des
  expressions du jour les plus chères au
  gouvernement, soit transfert de connaissances
  et mise en commun des pratiques exemplaires.

31
Marginalisation des connaissances et des
pratiques autochtones

• Une partie des séquelles du colonialisme prend
  une forme latente de violence épistémique qui
  condamne les idées et les pratiques les plus
  productives des Autochtones à une existence
  épistémique dérivée et assujettie. Ainsi, on a
  marginalisé les propos des Autochtones
• En les opposant à des soi-disant connaissances
  scientifiques plus concrètes
• En associant laltérité à lignorance
• En rejetant ou en éliminant le sens légitime des
  formes de connaissances autochtones (Fanon,
  1965)
• En les qualifiant de naturellement enfantins ou
  de simples superstitions - les membres de la
  société dominante ne se frottent pratiquement à
  aucune opposition lorsquils caractérisent ce que
  les peuples autochtones voient souvent comme de
  nouvelles tentatives de conquête
  intellectuelle, de banales missions éducatives
  ou civilisatrices bien intentionnées (Ghandi,
  1998).

32
Démentir le rapport établi entre laltérité et
lignorance

• Puisque plus de la moitié des bandes sondées
  connaissent des taux de suicide chez les jeunes
  qui sont inférieurs à ceux relevés dans la
  population générale des taux qui sont à zéro ,
  il est évident que certaines collectivités
  autochtones possèdent déjà des formes de
  connaissances et de pratiques très efficaces
  quant à la façon de donner un sens à la vie,
  lesquelles pourraient servir à dautres
• À la lecture de ces constatations, deux types de
  questions générales simposent demblée. Parmi
  celles-ci, notons
• A) Que sont très exactement ces connaissances et
  ces pratiques exemplaires?
• B) Quel est le meilleur moyen de transférer ou
  de mettre en commun de telles connaissances?

33
Pratiques exemplaires des Autochtones

• Nos données démontrent quil est tout à fait vrai
  que les collectivités autochtones de la C.-B. qui
  ont, par exemple, atteint un certain degré
  dautonomie gouvernementale, ou qui ont vite fait
  de revendiquer le titre autochtone de leurs
  terres ancestrales devant les tribunaux, et qui
  ont réussi à reprendre des mains du gouvernement
  un certain contrôle sur leur vie civile,
  connaissent des taux de suicide chez les jeunes
  qui sont manifestement plus faibles ou absents.
  Cela ne veut pas dire que de telles collectivités
  possèdent des connaissances déclaratives sur ce
  quelles font bien, ou quelles ont pris des
  mesures de préservation culturelle dans le but
  bien précis de réduire les taux de suicide chez
  les jeunes, mais il est tout de même vrai que ces
  pratiques exemplaires collectives comportent
  une certaine dose de savoir procédural de ce
  quimplique la création dun monde local où les
  jeunes croient que la vie vaut la peine dêtre
  vécue.

34
Transfert des connaissances

• Le transfert des connaissances est généralement
  perçu comme un processus ascendant par lequel
  on donne un effet de ruissellement aux
  connaissances scientifiques générées par le
  milieu pour quelles se rendent jusquaux
  travailleurs communautaires. En plus de comporter
  dautres aspects douteux, de telles solutions
  fabriquées à Ottawa sont largement perçues
  comme irrespectueuses par les collectivités
  desservies et une nette confirmation de la
  position dinfériorité généralement accordée à la
  culture autochtone.
• La recherche que jai présentée suggère une
  mesure de rechange, à savoir que si les
  connaissances autochtones sont reconnues comme
  étant bien réelles, alors au lieu dutiliser des
  démarches ascendantes plus traditionnelles, il
  faut sérieusement étudier la possibilité dun
  transfert latéral des connaissances et des
  pratiques exemplaires entre les collectivités qui
  réussissent mieux et celles qui arrivent moins
  bien à répondre aux besoins de leur jeune
  population en croissance.

35
Conclusion Quatre volets faciles

• Le recours à des moyens de préserver un sentiment
  de persévérance personnelle et culturelle
  constitue un paramètre récurrent de la
  compréhension de soi qui est peut-être commun à
  toutes les cultures humaines.
• Les adolescents qui ne réussissent pas à
  conserver un sentiment de continuité personnelle
  perdent le lien qui les unit à leur propre avenir
  et, par conséquent, sont particulièrement exposés
  au suicide.

36
Conclusion Quatre volets faciles

• 3. Les continuités personnelle et culturelle sont
  étroitement liées, de sorte que les collectivités
  des Premières Nations qui adoptent des mesures en
  vue de préserver leur patrimoine culturel et qui
  sefforcent de contrôler leur destinée
  réussissent bien mieux à éloigner les jeunes des
  risques de suicide.

37
Conclusion Quatre volets faciles

• 4. Au moins deux mesures évidentes ou
  répercussions politiques se dégagent de cette
  recherche.
• La première consiste à présenter comme faux ce
  que jai appelé le mythe de lAutochtone
  monolithique la fiction actuarielle selon
  laquelle il est possible de saisir la diversité
  de la vie autochtone dune province ou dun pays
  en jetant un seul regard global (souvent
  statistique).
• La deuxième veut que, compte tenu du riche
  éventail des connaissances et des pratiques
  autochtones que nous avons relevé et qui est
  réparti parmi la population autochtone, les
  stratégies traditionnelles ascendantes
  utilisées pour le transfert des connaissances
  devraient être remplacées par un transfert plus
  latéral.

38
Remerciements à...

• Marlene Atleo, Jessica Flores, Pam Frank, Erica
  Gehrke, Darcy Hallett, Catherine Horvath, Cathy
  Hull, Marla Jack, Leigh Koopman, Chris Lalonde,
  Aislin Martin, Lisa Moberly, David Paul, Jesse
  Philips, Holly Pommier, Bryan Sokol, Ulrich
  Teucher et Florence Williams

• Instituts de recherche en santé du Canada,
  Michael Smith Foundation for Health Research,
  Conseil de recherches en sciences humaines,
  Hampton Fund et Human Early Learning Partnership

Courriel chandler_at_interchange.ubc.ca