Title: Tout un pome
1 Une foule de gens se figurent que le but de la
poésie est un enseignement quelconque, quelle
doit tantôt fortifier la conscience, tantôt
perfectionner les murs, tantôt enfin démontrer
quoi que ce soit dutile... Elle na pas la
vérité pour objet, elle na quelle même
(Charles BAUDELAIRE)
2Représentations de la poésie
- Un écart entre un usage "normé" et un usage
"poétique" de la langue. - Prédominance des figures de style métaphore,
oxymore, allitération, anaphore - Le poème est lié à des formes reconnaissables
la rime, la métrique, la disposition sur l'espace
"page" - Lidéologie romantico-lyrique, perpétuée par
lécole, privilégie les attitudes sentimentales
et esthétiques. - Lailleurs romantique renvoie le poète "hors du
réel", rêveur et/ou en fuite, à l'inspiration
magique. - L'inquiétante étrangeté le poème parle de
choses impossibles ou imaginaires de sujets que
le lecteur possède mal, rédigés dans une langue
intimidante, hermétique.
3- DEFINITION ACADEMIQUE
- "Art du langage traditionnellement associé à la
versification, visant à exprimer ou à suggérer au
moyen de combinaisons verbales où le rythme,
l'harmonie et l'image sont essentiels." (Le
Robert) - DEFINITION ABRUPTE
- La poésie nest rien dautre que lensemble des
produits symboliques qui sont socialement et
institutionnellement étiquetés comme tels
auteurs, textes, critiques, théoriciens,
éditeurs, relais institutionnels, manifestations
ponctuelles...
4Le texte poétique
- Une utilisation maximale des ressources de la
langue "Sa barbe était dargent comme un
ruisseau davril" (Hugo, 1859, "Booz endormi", La
Légende des siècle). - Une variété de la langue "Y en a qui maigricent
sulla terre/Du vente du coq-six ou des jnous ",
Queneau, 1948, Maigrir). - Une articulation du signifiant et du signifié
pour créer du sens (calligramme). - Insoumission à l'arbitraire du signe.
- Une signification sajoute à une autre, sans la
chasser passage du sens dénoté (informatif) au
sens connoté (affectif) "Captive entre deux
voleurs de surfaces vertes calcinée/ Et ta tête
pierreuse offerte aux draperies du vent",
(Bonnefoy, 1947, Anti-Platon). - Ouverture sémantique, tendance, inhérente à
luvre dart contemporaine (Eco, 1965, LOeuvre
ouverte).
5 QUAND Y-A-T-IL UVRE D'ART/POESIE ? Une
intention (communiquer, offrir, témoigner, dire,
sexprimer, laisser une trace ) Une intériorité
(humanité, expression des sentiments,
inquiétudes, doutes, questionnements ) Une
réalisation concrète
6Intérêt du texte poétique
- Prise de conscience des mécanismes complexes en
jeu lors de la réception d'un discours mobile,
contenu, traitement des informations. - Évite la banalisation de l'acte de lecture
lélève doit adopter une attitude de
"cryptanalyste". - Mobilise toutes les compétences en jeu dans
l'acte de lecture - compréhensives, instrumentales, culturelles.
- Rattaché à dautres uvres lues, le poème permet
de retrouver des représentations déjà présentes
et d'éprouver le plaisir esthétique lié à la
connaissance de ses propres dispositions
émotionnelles et cognitives.
7POEME OU POESIE ?
LA POÉSIE est un art. LE POÈME est un texte
ayant les caractères de la poésie. Donner une
image plurielle de la poésie en provoquant de
nombreuses rencontres de l'enfant avec des poèmes
variés thèmes, formes, registres, poètes,
langues, époques.
8QUELQUES "REGROUPEMENTS"
9habiter
André du Bouchet
Lorand Gaspar
Yves Bonnefoy
Philippe Jaccottet
Jacques Dupin
10Jacques Dupin (1927)
- Nous n'appartenons qu'au sentier de montagne
- Qui serpente au soleil entre la sauge et le
lichen - Et s'élance à la nuit, chemin de crête,
- A la rencontre des constellations.
- Nous avons rapproché des sommets
- La limite des terres arables.
- Les graines éclatent dans nos poings.
- Les flammes rentrent dans nos os.
- Que le fumier monte à dos d'hommes jusqu'à nous!
- Que la vigne et le seigle répliquent
- A la vieillesse du volcan!
- Les fruits de l'orgueil, les fruits du basalte
- Mûriront sous les coups
- Qui nous rendent visibles.
- La chair endurera ce que l'oeil a souffert,
- Ce que les loups n'ont pas rêvé
- Avant de descendre à la mer.
- "Grand vent", Gravir, 1963
11Lorand Gaspard (1925)
- Soie drue ocre et or de laube minérale
- où nous parle encore la beauté que fend
- dun trait sans défaut la nageoire
- dorsale et la peur, puis tout se retend
- sans plis sans couture
- Mer Rouge, Posie, n 91, 1er trimestre 2000
12Philippe Jaccottet (1925)
- Travaillant au jardin, je vois soudain, à deux
pas, un rouge-gorge on dirait qu'il veut vous
parler, au moins vous tenir compagnie minuscule
piéton, victime toute désignée des chats. Comment
montrer la couleur de sa gorge ? Couleur moins
proche du rose, ou du pourpre, ou du rouge sang,
que du rouge brique si ce mot n'évoquait une
idée de mur, de pierre, même, un bruit de pierre
cassante, qu'il faut oublier au profit de ce
qu'il évoquerait aussi de feu apprivoisé, de
reflet du feu couleur que l'on dirait comme
amicale, sans plus rien de ce que le rouge peut
avoir de brûlant, de cruel, de guerrier ou de
triomphant. L'oiseau porte dans son plumage, qui
est couleur de la terre sur laquelle il aime tant
à marcher, cette sorte de foulard couleur de feu
apprivoisé, couleur de ciel au couchant. Ce n'est
presque rien, comme cet oiseau n'est presque
rien, et cet instant, et ces tâches, et ces
paroles. A peine une braise qui sautillerait, ou
un petit porte-drapeau, messager sans vrai
message l'étrangeté insondable des couleurs.
Cela ne pèserait presque rien, même dans une main
d'enfant. - Et néanmoins, Gallimard, 2001, p. 57.
13Yves Bonnefoy (1923)
- UNE PIERRE
- Il se souvientDe quand deux mains terrestres
attiraientSa tête, la pressaientsur des genoux
de chaleur éternelle. - Étale le désir ces jours, parmi ses rêves,
Silencieux le peu de houle de sa vie, Les
doigts illuminés gardaient clos ses yeux. - Mais le soleil du soir, la barque des
morts,Touchait la vitre, et demandait rivage. - Les Planches courbes, Mercure de France, 2001, p.
38.
14André Du Bouchet (1924-2000)
- Le nud du souffle qui rejoint,
- plus haut, l'air lié,
- et perdu.
- Ce lit dispersé avec le torrent,
- plus haut, par ce
- souffle.
- Pour nous rêver torrent, ou inviter le froid, à
travers - tout lieu habité.
- De la montagne, ce souffle, peut-être, au début
du jour. - L'air perdu m'éblouit, se fermant sur mon pas.
- Dans la chaleur vacante, Mercure de France, 1991
15figurer
Denis Roche
Michel Deguy
Christian Prigent
Bernard Noël
Jacques Roubaud
16Jacques Roubaud (1932)
- Le crocodile n'a qu'une idée
- il voudrait dévorer Odile
- qui habite près de son domicile
- elle est tendre et dodue à souhait
-
- Le crocodile est obsédé
- "ça devrait pas être difficile,
- pense-t-il,d'attraper cette fille"
- (il emploie la méthode Coué)
-
- Mais Odile qui n'est pas sotte
- ne s'approche pas de la flotte
- elle se promène sur la grève
-
- mangeant des beignets de banane au mil
- et c'est seulement dans ses rêves
- que le crocodile croque Odile.
- Le crocodile, Editions Rue du Monde, 2001
17Christian Prigent (1945)
- FASCINUM
- Voici la grande mère et le dragon rougela
putain, le nuddes vits pères).On a peur c'est
bleu zéro vue, peau grise.Salut aux petits
serpents sur sa tête paroles!
paroles!fariboles!Tout ça c'est dans toi
pisse-le,hop!En haut arc-en-ciel rosée
fraîcheur.En bas ton cul dans l'herbe,si tu
veux- ça va - Inédit, Le Printemps des Poètes
18Bernard Noël (1930)
- linconnu veut traverser lille sens efface le
visibleracle même la ride verbalesous le
manque seul absolulunique est un désir
latenttoute apparition tremble en vain - la divine évidence du rienbrutalement montre le
trousoudain creusé en pleine face - La vie en désordre, Éditions de lAmourier, 2005
19Denis Roche (1937)
- Flagornerie, faucon, fornication foutaiseMais
fesse et flûte aussi, tout cela comme desEfes,
des èfes (puisque la majuscule mempêcheDe faire
apparaître laccent grave. Ici coin La
parenthèse est à leau elle me ferait
remarquerContinuellement ma complaisance. La
pire, je peuxMettre trois ou quatre
complaisances par poème.Femelle du refus aux
beaux italiens qui va encoreMe pomper toute
chaleur tout fort vent exécrableIngurgitation
furieux trope sans mot que celuiqui tend à
laccumulation de mots consternantsFicelle que
celle qui sort des lèvres, signetMenstruel,
floculante agitation témoin.Ce qui est passé, je
natteindrai plus laffliction. -
- La Poésie est inadmissible, Seuil, 1995, p. 575.
20Jacques Roubaud (1932)
- Pour parler, dit le cochon,
- Ce que jaime cest les mots porqs
- glaviot grumeau gueule grommelle
- chafouin pacha épluchure
- mâchon moche miche chameau
- empoté chouxgras polisson.
- Jaime les mots gras et porcins
- jujube pechblende pépère
- compost lardon chouraver
- bouillaque tambouille couenne
- navet vase chose choucroute.
- Je naime pas trop potiron
- et pas du tout arc-en-ciel.
- Ces bons mots je me les fourre sous le groin
- et ça fait un pöeme de porq.
- Les Animaux de tout le monde, Seghers, 2004
21Michel Deguy (1930)
- Quai gris doù tombe lappât de neigeLe jour
décline dans sa coïncidenceLhomme et la femme
échangent leur visageLe vin est lent sur le
tableauA passer dans son sablier de verreEt
lartiste rapide au cur par symbolesDoué de
confiance hésite La pierre est-elle plus belle
dans le mur ? - Ouï Dire, 1966
22Décanter, déchanter...
Emmanuel Hocquard
Claude Royet-Journoud
Anne-Marie Albiach
Olivier Cadiot
23Olivier Cadiot (1956)
- Le bois ne peut flotter
- Ce projet ne peut vivre
- Ces insectes peuvent nuire
- Cette idée ne peut pas compatir
- avec la mienne
- Je veux que ce soit silence
- kraw
- kraw
- LArt poetic, P.O.L., 1988
24Emmanuel Hocquard (1940)
- Le vent, quand il couche lherbe dans le vent,
quand elle brille sous lui dun éclat plus terne,
lépouvantail est au milieu du chant. Vertical et
creux sur la terre, il garde une part de lair.
Il est cette figure du vent dans la chute
italique des vêtements demprunt qui tombent en
pièces. Il penche au milieu de ce qui se tient
debout. Les arbres, un mur. Lui, une idée creuse
que traverse la peur. - Une journée dans le détroit, 1980
25Anne-Marie Albiach (1937)
- la tension prend
- figure graphique
- dans limpossible du corps
- à lAutre
26Claude Royet-Journoud (1941)
- il taira
- le retour de la préposition
- devant le chiffre
-
- la mainmise du neutre
- quand le corps est une phrase à venir
- La notion dobstacle, Gallimard, 1978
27articuler
Jean-Pierre Siméon
Guy Goffette
Jean-Michel Maulpoix
James Sacré
Benoît Conort
Jean-Claude Renard
Jacques Réda
Jacques Darras
28Jacques Darras (1939)
- il est assis
- il a les genoux pliés
- il voit le monde
- il voit des fleurs de trèfle blanches
- il voit un toit de tuiles rouges
- il voit un carré de ciel gris
- il ne voit pas le monde
- il est le monde à lui tout seul
- La Maye, 1988
29Benoît Conort (1956)
- La face ensevelie sous lhumusSon cri de bras
dresséEt les fumées les brumesLa nuit qui
continuePlus avantOù le poing se referme sur un
peu de terreau. - Main de nuit, Champ Vallon, 1998, p.13
30Guy Goffette (1947)
- On s'habitue vite et c'est ce quinous sauve,
paraît-il. Encore petitet peu sûr au dedans, et
triste déjàà cause d'un lapin mort de froid - dans sa cage, d'une fleur piétinée, bref,c'était
pire encore de les entendres'exclamer regarde
comme il s'estendurci, tant sont aveugles ceux - qui voient bien l'écorce aux prisesavec la
pluie, la grêle, mais jamaisla grimace de
l'aubier ou du surgeonmalmené (votre enfant,
grand dieux ! - si plein de larmes et d'effroi.)
- Un manteau de fortune, Gallimard 2001, page 34.
31Jacques Réda (1927)
- LE VISAGE CACHÉ
- Ces visages qui tout à tour mauront brûlé,Que
voilaient-ils, de quelle invisible
figureÉtaient-ils le symbole ou la
caricature,Ou bien la vérité changeante et vouée
à loubli ?Mais quand je les revois, surgis de
ces replisOù la cendre à présent voisine avec la
roche,Ne laissant plus au feu quun médiocre
aliment, Je redoute un peu moins lombre qui se
rapprocheEt le souci du vrai sendort en moi
comme un enfantFatigué du voyage. - Retour au calme, Gallimard, 1989, p. 29.
32Jean-Michel Maulpoix (1952)
- Convalescence du bleu après l'averse...
- On voudrait jardiner ce bleu, puis le recueillir
avec des gestes lents dans un tablier de toile ou
une corbeille d'osier. .... On voudrait, on
regarde, on sait qu'on ne peut en faire plus et
qu'il suffit de rester là, debout dans la
lumière, dépourvu de gestes et de mots, avec ce
désir un peu bête dont le paysage n'a que faire,
mais dont on croit savoir qu'il ne s'enfièvre pas
pour rien, puisque l'amour est notre tâche, notre
devoir, quand bien même serait-il aussi frêle que
ces gouttes d'eau d'après l'averse tombant dans
l'herbe du jardin. - Une histoire de bleu, Mercure de France, 1992,
page 15
33James Sacré (1939)
- Je voudrais que tes jouesBrillent comme au loin,
dans le souvenir que jen ai, La tuile un peu
vieille dune ou deux maisons seulesAu fond du
mot Poitou,Ou pareil que dans soudain la
campagne américaineUn grand manège où tu ten
vas, charpente en bois peinte roller-Coaster sa
construction savante et fine à travers les
arbres...On entend des cris, on entendLe
silence aussi. - extrait de À côté des iris sans fleurs , dans
Une petite fille silencieuse, André Dimanche,
2001, p. 39-41.
34Jean-Claude Renard (1922-2002)
- Tout le poumon cosmique dilaté
- dans la respiration de la gloire.
- Ô que les vieilles vases de la mort
- tombent de mes os sous le vent marin
- La laine de Dieu a le goût des feuilles
- et des fontaines et la vigne y pousse.
35Maurice Régnaut (1928-2006)
- Ce siècle est si lent, si lent, si lent, please,
- Un chant, Monsieur Coeur,
- On a ri sur vous, mais la nuit est pire,
- Un chant malgré l'heure,
- Aurore en direct, vent, forêts, fenêtres,
- Et foule en fraîcheur,
- Multiplex géant du ça va sur terre,
- Futur à l'honneur,
- Coeur, si c'est mentir, mens que tout demeure
- Aussi vrai qu'on meurt,
- Vrai que dans cette ombre une voix qui brûle,
- C'est même un bonheur,
- Ce siècle est si lent, Big Monsieur Coeur, please
! - Editions Bernard Dumerchez, 2001
36Ce corbeau qui semplit de fumier chaud et
rit, Ce lapin qui grignote un cou écorché vif Et
ce porc qui dévore un autre porc qui hurle, Ce
moribond qui sans arrêt vomit et lape Et ce
chauve incendiaire agenouillé dextase Devant le
feu puissant qui fait craquer la nuit Ce
hors-le-monde ivre damour qui va tuant
37Jean-François Bory (1938)
Angoisse 3, Made in Machine, Brescia, Amodulo,
1972
Le Cagibi de MM. Fust et Gutenberg, LEcole des
Loisirs, 2003
Affichette Dada, 2005
38Jean-Pascal Dubost (1963)
- corbeau en tulipe
- Bec ouvert comme la fleur, car il a
- chaud, sûrement suffoque sous le
- soleil heureusement lombre bouge
- lombre gagne lombre attendue.
- Cest corbeau, Cheyne éditeur, 1998
39Ah ! que de merveilles scintillent Lorsque danse
une goutte d'eau ! Un ange parfois joue aux
billes, Une étoile tombe au ruisseau. On ne
sait jamais quel manteau De fée courant dans les
jonquilles On peut coudre avec une aiguille En
rêvant derrière un carreau. Maurice Carême
(1899)