Title: Wolfgang Wildgen Limpact des modles dynamiques pour la linguistique
1Wolfgang Wildgen Limpact des modèles dynamiques
pour la linguistique
- Contribution au volume Mathématiques et
Langage, Revue Histoire et Épistémologie du
Langage, 2009 - Réunion à Paris le 22 novembre 2008
2De Saussure à Chomsky
- Pour Ferdinand de Saussure lidée encore très
vague dun système linguistique renvoyait à des
oppositions (surtout binaires), à des choix faits
dans la dimension syntagmatique (la chaîne de
production) et la dimension associative (les
remplacements possibles). - Pour Hjelmslev la langue a une structure
sub-logique il assume donc un noyau de
relations logiques fondamentales. Les langues
particulières choisissent dans linventaire de ce
système (voir la théorie des cas exposée dans
Hjelmslev 1935). - À partir de 1950 Bar-Hillel et Chomsky
commencèrent à traiter le langage à laide de la
logique. Le point de départ pour Chomsky était
une analyse distributionnelle (voir Harris
1951). Comme il argumentera de façon explicite
dans sa thèse (Chomsky 1955), il sagit daller
au-delà des restrictions dun corpus donné, si
lon veut trouver des généralisations
acceptables.
3- Il postule pour ce dessein une grammaire
prédictive - A syntactic analysis will result in a system of
rules stating the permitted sequences of the
syntactic categories of the analyzed sample of
the language, and thus generating the possible or
grammatical sentences of the language. (Chomsky
1953, p. 243) - Avec cette décision Chomsky introduit un moment
dynamique Comment établir un système génératif
à la base dun corpus réduit. Chomsky sacquitte
à un certain moment du devoir de construire une
grammaire (le système unique) dune langue donnée
et se pose (en termes abstraits) la question,
comment un locuteur forme des phrases et des
textes. - But a linguistic grammar must answer further
questions which cannot be dealt with by this
trivial grammar, e.g. how can a speaker
generate new sentences? (ibidem 71) - Il exclut pour des raisons épistémologiques et
théoriques la considération du contenu
(meaning/reference) des formes linguistiques. Aux
arguments qui disent quaucune analyse
grammaticale nest possible sans considérer le
contenu, il répond que ce qui est nécessaire est
uniquement lintuition du linguiste.
4Grammaire et mathématiques
- Ces décisions méthodologiques permettent à
Chomsky de considérer chaque langue comme un
ensemble à définir. Si lensemble est infini,
seule une définition implicite (voir la
définition des nombres naturels) suffit. - From now on I will consider language to be a set
(finite or infinite) of sentences, each finite in
length and constructed out of a finite set of
elements. (Chomsky 1957, p. 13) - Les mathématiques à considérer seront donc la
théorie des ensembles, la théorie des groupes
(libres) et les règles qui permettent dengendrer
les chaînes de formes considérées être
grammaticales. Dailleurs Chomsky (1955
chapitre 5) ne veut guère identifier la langue
naturelle avec une langue artificielle ou une
logique. Though logic can be applied with
profit to the construction of a formalized
linguistic theory, it does not follow that this
theory is in any sense about logic or any other
formalized system.(ibidem)
5Critique sémiotique
- Dans une perspective sémiotique on pourrait dire
que le coté signifiant du signe (Saussure) ou le
signe comme figure perçue (selon Peirce) fut le
sujet des modèles de Chomsky. - Selon Peirce il sagit pourtant dun signe
dégénéré (sans linterprétant et lobjet). Il
fallait donc récupérer linterprétant (dans une
version simple limage mentale de Saussure) et
lobjet (négligé par Saussure, mais dynamisé par
Peirce). - Si lon ajoute ces aspects négligés par Chomsky
et ses disciples on doit envisager des
conséquences dramatiques quant au type de
mathématiques à considérer. Nous allons décrire
ces conséquences en partant de luvre de René
Thom.
6La linguistique topologique et dynamique de René
Thom
- Les contributions de René Thom à partir des
années soixante furent concentrées dans son livre
de 1972 Stabilité structurelle et
morphogenèse et dans le recueil darticles de
1974 Modèles mathématiques de la
morphogenèse . - Si les applications de la théorie des
catastrophes par Christopher Zeeman se rangent
dans le cadre dune mathématique appliquée, les
propositions de Thom ont un caractère plutôt
philosophique. - De cette origine double sont issues deux versions
de la théorie qui se sont séparées après la crise
de 1976-1978. Cette critique concernait les
modèles proposés par Zeeman, surtout ceux en
dehors de la physique. Deux reproches eurent un
impact sur les développements futurs.
7La critique de la TC de Zeeman
- Pour Zeeman toutes sortes de paramètres
pertinentes pour le domaine dapplication peuvent
interpréter les variables de contrôle. En
pratique ses modèles ont surtout deux, plus
rarement trois paramètres de contrôle la fronce
devient sa catastrophe préférée. - Thom avait choisi comme interprétation standard
lespace-temps. Ce choix a aussi motivé la
restriction des catastrophes élémentaires à
celles ayant un maximum de quatre variables de
contrôle. - La quantification des paramètres reste
insuffisante c'est-à-dire la discipline en
question ne fournit pas les dates nécessaires (ou
celles-ci ne sont pas utilisées explicitement
pour prouver/falsifier les hypothèses).
8Zeeman commente sa relation à Thom
- Thom occupies a position halfway between
mathematics and philosophy. He was reluctant to
get his hands dirty predicting experiments, lest
the potential failure of those predictions
detracted from the purity of his theory. - I, on the other hand, occupied a position halfway
between mathematics and science. I wanted to get
my hands dirty, and make predictions, and get the
experimentalists to test them, because I knew
that the scientific community would never take a
theory seriously unless it was capable of being
tested experimentally. And I was gratified that
several of my predictions were confirmed. Some
were refuted, and others remain to be tested. - Since we occupied different positions Thom and I
complemented each other. We met over the
mathematics and the theory in between, and our
collaboration turned out to be very fruitful.
(Réponse de Zeeman dans une interview de Craveiro
de Carvalho en 2001 voir http//at.yorku.ca/i/a/
a/h/14.htm)
9La visée thomienne
- La langue est un système dynamique très compliqué
qui non seulement connaît différents niveaux
darticulation mais qui est formé par des
processus évolutionnaires et historiques, dans
lontogenèse du langage chez lenfant et par la
micro-dynamique de la parole. Il ne sagit guère
de légiférer en tant que grammairien, mais de
trouver dans ce système dynamique compliqué les
forces majeures, qui sont à luvre dans sa
morphogenèse . Ces facteurs ont un effet
décisif dans les régions critiques, là où des
structures nouvelles émergent ou disparaissent.
La stratégie devient pour cette raison locale
(autour des singularités) et le problème du
global devient secondaire. En termes de topologie
on peut organiser une carte globale à partir des
cartes locales trouvées.
10Catastrophes de la parole
- Les catastrophes de la parole renvoient plutôt au
contexte des modèles proposés par Zeeman, car
elles essaient dexpliquer la dynamique du
comportement de lhomme parlant. - Larrière fond est donné par la physique des
ondes de la phonation, par la cinématique des
articulations et la physiologie de la perception
phonétique. En ce sens ce domaine fait partie des
sciences naturelles. - Par la fonction différentielle des phonèmes le
problème de leur modélisation renvoie pourtant au
système de la langue et, la langue étant un
fait social (Saussure), à la société. Cest
donc un phénomène accessible aux méthodes des
sciences mais orienté vers la question du signe
et du sens.
11Catastrophes de la prédication
- Pour le rôle du verbe dans la formation de la
phrase lactance est dun intérêt primordial et
René Thom a proposé de partir dun inventaire de
schémas dérivés des catastrophes élémentaires
pour décrire les grands types dactance - les phrases contenant un verbe monovalent
(intransitif). On peut distinguer mouvement
continu, début, fin - les phrases contentant un verbe bivalent
(transitif). Un petit nombre de sous-types peut
être distingué attraper émettre changer /
entrer sortir / créer détruire - les phrases contenant un verbe trivalent
(bi-transitif). Sous-types donner
communiquer - des cas limites quadrivalents, qui déploient
lactant intermédiaire (par exemple le transport,
le don, la parole) en introduisant une force
médiatrice (le moyen de transport, un espace de
valeur, un code etc.).
12Sémantique imaginale
- La théorie des catastrophes permet de déduire des
'images' abstraites de ces scènes. On obtient des
modèles empiriques par une interprétation des
paramètres de ces 'images'. - Linterprétation des paramètres mène à des
modèles localistes, si nous choisissons les
paramètres (leur interprétation) dans
lespace-temps (R4). - Dautres modèles sont possibles ils peuvent
être appelés métaphoriques au sens de ce
terme chez Lakoff et Johnson (donc par projection
dans dautres espaces dérivés par analogie
structurelle de la possession du changement
qualitatif, de limaginaire etc.)
13Processus à deux régimes stables et transition
dun régime à lautre
- La surface des points critiques de la fronce
germe - V x4 et deux coupes avec leurs champs de
vecteurs.
14Les deux schémas principaux dérivés de la fronce
(avec deux régimes de stabilité R1 et R2).
- (2a) 'émisson' de R2 par R1
- (2b) 'capture' de R2 par R1
- Exemples
- Le champion lance la boule (2a)
- Le chat attrape la souris(2b)
- Mme Dupont écrit une lettre (2a)
- Mr. Laval déchire/brûle la lettre (2b)
15Catastrophes de lacte de parole et de
lénonciation
Le don réel et le don de lénonciation
- Si on remplace le don par la promesse du don,
cela a des conséquences pour une action future,
qui est imaginée au moment de la promesse.
L'événement du don assume un caractère fictif.
Pour établir le lien entre le don fictif et le
don réel (dans lavenir) on doit considérer des
relations appelées devoir faire et pouvoir
faire dans la tradition de Greimas.
16Applications de la TC dans les sciences humaines
- On peut dire en général que les domaines où on
sintéresse aux phénomènes de croissance,
convergence, divergence et où on a déjà introduit
des équations différentielles pour décrire
lévolution dun système dans le temps se prêtent
aussi à lapplication de la TC. - Il suffit de constater des transitions
non-linéaires (abruptes), des cycles stables
(leur genèse et disparition) ou une accélération
des bifurcations pour introduire les méthodes de
la TC, de la théorie des bifurcations et du
chaos. - Souvent un concept intuitif doptimisation permet
de définir des attracteurs et des trajectoires
qui cherchent lattracteur ou qui fuient le
repellor
17La linguistique mathématique
- En principe nimporte quelle terminologie ou
procédure peut-être captée par un métalangage
mathématique, si on admet des éléments,
ensembles, partitions, unions etc. - Si le phénomène est plutôt continu ou sil a une
expansion spatiale (concrète ou abstraite) la
géométrie, la topologie devront remplacer ou
suppléer lalgèbre. - Ainsi tout modèle phonétique ou sémantique
demande un tel métalangage. - Le fait que lalgèbre fut préférée par Harris et
Chomsky semble recourir du fait que
traditionnellement on voyait le langage plutôt
sous sa forme écrite, donc avec une structure
discrète, linéaire, quon pouvait réduire à une
combinatoire dans le temps (voir le concept de
chaîne chez Harris et Chomsky) - En soi, aucune sous-discipline des mathématiques
ne serait à exclure sous le point de vue dun
métalangage scientifique, cest-à-dire les
mathématiques peuvent être conçues comme des
métalangages scientifiques et techniques
générales et neutres.
18Mathématiques et innovation
- La stratégie de lemploi des mathématiques chez
Harris et Chomsky est conservatrice elle assume
quon connait les faits pertinents en
linguistique et quil sagit seulement de les
rendre de façon élégante et cohérente. - Toute théorisation dynamique ou explication par
la (morpho-) genèse doit dabord utiliser les
techniques modernes des systèmes déquations
différentielles (linnovation apportée par
Leibniz et Newton au 17e siècle) et de leur
analyse qualitative (chez Poincaré et en
topologie différentielle). - Cest dans ce contexte quil faut situer la
rupture épistémologique du structuralisme avec la
pensée dynamique de Humboldt, avec la tradition
de la recherche des lois diachroniques au 19e
siècle et les idées révolutionnaires du
darwinisme. - Par la suite le structuralisme (de Hjelmslev à
Chomsky) a fonctionné comme une sorte de tabou,
même de censure intellectuelle. Il fallait
linnocence philosophique dun mathématicien
comme Thom pour rompre ce tabou et pour ouvrir
des voies nouvelles.
19Ontologies régionales et linguistique cognitive
- La stratégie des ontologies régionales déjà
préconisée par Husserl au temps de Saussure (vers
1900) est en conflit avec la Technè
Grammatikè (depuis Dyonisius Thrax) qui pour la
majorité des linguistes-grammairiens forme le
cur des pratiques linguistiques. - Certes, il existe toujours des langues pour
lesquelles un aperçu rapide de leur phonologie,
lexique et grammaire doit être fait avant
quelles ne disparaissent, mais la majorité des
linguistes traite des langues, pour lesquels
depuis des siècles dinnombrables grammaires ont
été écrites. - Dans le contexte des disciplines voisines
intéressées aux faits linguistiques la
psychologie, la sociologie, la biologie des
comportements (éthologie), la neurologie etc., la
linguistique doit avancer vers une explication
plus profonde, plus causale, plus dynamique des
phénomènes langagiers.
20- Les disciplines voisines sont en train dintégrer
les modèles dautoorganisation (en sociologie, en
neurologie) et de prendre au sérieux la dimension
évolutionnaire. La question, quel type de
mathématiques à considérer, doit en conséquence
prendre en compte le choix de ces disciplines
pour trouver un langage théorique en commun. Les
modèles mathématiques qui permettent une
théorisation profonde en physique et chimie, tels
que ceux de Haken et Prigogine, peuvent montrer
la direction pour une modélisation en neurologie
(dynamique de cerveau voir Haken 1996) et en
psychologie (voir Kelso 1997). Les systèmes
dynamiques, pour lesquels la théorie des
catastrophes est un exemple très simple et clair,
semblent donner le cadre pour ces choix. - Dailleurs si lon choisit des systèmes discrets,
les grammaires génératives sont un exemple très
simple de systèmes dynamiques. Avant Chomsky les
systèmes de Markov avaient déjà montré la voie et
cétait une faute de Chomsky (1957, p. 17) de ne
pas considérer les modèles probabilistes. - Surtout dans le contexte de la sociolinguistique
et de lanalyse du discours une mathématisation
probabiliste semble être nécessaire (quoique
quil soit difficile de la penser dans la
tradition des grammaires législatives ).
21Autocritique
- Comme la controverse de 1978 la montré en vue
des applications de Zeeman en psychologie, une
linguistique dynamique doit observer les critères
dévaluation en mathématique appliquée,
cest-à-dire que linterprétation des paramètres
du modèle doit être claire et reproductible. - Le modèle qualitatif doit être rapproché au fur
et à mesure du développement de la linguistique
et des sciences cognitives à une approche
quantitative (et statistique) qui permet de
contrôler les prédictions du modèle et ainsi de
le corriger ou falsifier. - Le contexte épistémologique doit être clarifié
(ce que Petitot a fait à la base de Kant et
Husserl) et des applications pertinentes dans
différents champs de la linguistique doivent être
trouvées (de la phonologie, la morphologie, la
syntaxe, le lexique jusquà lanalyse des textes,
du discours et des contextes sociaux de la
communication).
22Bibliographie courte
- Brandt, Per Aage (1991). Pour une sémiotique de
la promesse. Quelques réflexions théoriques ,
in Per Aage Brandt et A. Prassoloff (éds.)
Qu'est-ce qu'une promesse? , Aarhus, Aarhus U.P. - Petitot, Jean (1992). Physique du Sens. De la
théorie des singularités aux structures
sémio-narratives, Paris, Editions du CNRS. - Sussmann, H.J. et R.S. Zahler (1978).
Catastrophe Theory as Applied to the Social
and Biological Sciences A Critique , Synthese
37, 117-216. - Thom, René (1974). Modèles mathématiques de la
morphogenèse, Paris, Union Générale d'Editions
(2e édition, Bourgois, Paris, 1980). - Wildgen, Wolfgang (1999). De la grammaire au
discours. Une approche morphodynamique, Bern,
Lang. - Zeeman, E.C. (1977). Catastrophe Theory Selected
Papers 1972-1977, Cambridge (Mass.) ,
Addison-Wesley.