Title: L'enseignement social de l'
1L'enseignement social de l'Église catholique10
DÉVELOPPEMENT HISTORIQUED'UNE DOCTRINEDES PÈRES
DE L'ÉGLISE À JEAN-PAUL II
- Diaporama réalisé sur la base de louvrage épuisé
chez fayard - Pour une civilisation de lAmour par la Père
Patrick de Laubier et Jean-Nicolas Moreau /1990
- Ouvrage mis gracieusement par Don Patrick à
disposition pour tout enseignement en la matière. - Quils en soient ici remercié!
2DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE
- Ambroise de milan et le droit romain christianisé
- Chrysostome prophète du partage
- Augustin dHippone et les deux cités
- Thomas d'Aquin et les trois cités
- Antonin de Florence et l'éthique de l'économie
- Francisco de Victoria et les indiens du Nouveau
monde - Francesco Suarez et le droit international
- Bossuet et la monarchie absolue genèse d'une
crise de la pensée politique - L'Église et les droits de l'homme en 1789
- Pie IX et Léon XIII, des réponses chrétiennes au
libéralisme et au socialisme. . . - Un siècle d'enseignement social chrétien de Léon
XIII à Jean-Paul II l'espérance d'une
civilisation de l'amour.
3PIE IX ET LÉON XIII DES RÉPONSES CHRÉTIENNES AU
LIBÉRALISME ET AU SOCIALISME
- Les pontificats de ces deux papes couvrent
cinquante-sept ans de la vie de l'Église dans une
période riche en événements économiques et
sociaux dont deux courants idéologiques se
disputent l'inspiration. - Le libéralisme et le socialisme, comme idéaux
historiques et comme idées-forces, sont des
frères ennemis dont l'ascendance remonte à l'âge
des Lumières au XVIIIe siècle. Ils inspirèrent
peu à peu les élites et les masses au lendemain
de la Révolution française. - Pie IX dénonça vigoureusement le premier dans son
expression théologique et philosophique sans
aborder l'aspect économique en tant que tel. - Léon XIII s'attacha à répondre au défi socialiste
en proposant des réponses concrètes sur le plan
économique et social. On a opposé les deux papes
qui, de fait, étaient très différents, mais la
complémentarité de leurs pontificats apparaît
clairement.
4Pie IX
- Pie IX est né en 1792, près d'Ancône, dans les
Etats pontificaux, d'une famille aristocratique
mais pauvre. Fervent et doué pour les études,
Giovanni Maria Mastaï fut affligé pendant
plusieurs années d'épilepsie (1809-1819). En
1816, à 24 ans il se décide pour le sacerdoce et
devient prêtre en 1819. Il est d'abord aumônier
des jeunes ouvriers de l'hospice Tata Giovanni.
En 1822, il accompagne un délégué apostolique au
Chili. En 1825, il est directeur de l'hospice de
Saint-Michel ad Ripam, grand établissement de
bienfaisance fondé au XVIIe siècle. Le pape Léon
XII le nomme évêque de Spolète où il reste cinq
ans (1827-1832). Grégoire XVI le désigne pour
Imola, siège cardinalice, où G. Mastaï, âgé de 40
ans restera jusqu'à son élection sur le trône de
Pierre en 1846.
5conservateurs et libéraux s'affrontent
- A Imola, en Romagne, le nouvel évêque est
confronté avec une situation difficile où
s'affrontent conservateurs et libéraux,
révolutionnaires et partisans de la théocratie
pontificale, nationalistes et pro-autrichiens. Il
travaille à la réforme religieuse de son diocèse.
En 1838, on lui propose en vain la nonciature à
Paris. Il est cardinal en 1840 et doit se
défendre contre des accusations de libéralisme
Je hais... les actions des libéraux, mais
le fanatisme des soi-disant papistes ne m'est
certainement pas sympathique (1).
6oeuvre missionnaire fort active et hardie
- Lorsque Grégoire XVI mourut en 1846, ce moine
camaldule cultivé, mais inaccessible aux idées
nouvelles, notamment celles de Lamennais qu'il
condamna (Quanta cura, 1834), laissait une
succession difficile. L'Église semblait faire
corps avec les forces les plus conservatrices
d'Europe, le tsar russe inclus, et plus
généralement s'opposer à tout changement, fût-ce
sur le plan technique il refusa, par exemple,
les chemins de fer. Son oeuvre missionnaire fort
active et hardie contraste avec l'absence
d'ouverture en Europe. Succédant à un tel
pontife, Pie IX, âgé de 54 ans, commença par
passer pour un libéral et l'amnistie des
prisonniers politiques (16 juillet 1846) provoqua
des manifestations d'enthousiasme.
7voir un pape faire du libéralisme
- Metternich s'en inquiéta Il était donc
réservé au monde de voir un pape faire du
libéralisme (1). A l'autre extrême, G. Mazzini
(1805-1872), fondateur de La Jeune-Italie, fit
circuler un document où l'on pouvait lire ces
lignes Le clergé n'a que la moitié de la
doctrine sociale il veut comme nous la
fraternité qu'il nomme charité mais sa
hiérarchie et ses habitudes en font un auxiliaire
de l'autorité, c'est-à-dire du despotisme, il
convient de prendre ce qu'il y a de bon et de
supprimer le mal (2).
8le libéralisme philosophique est visé
- D'emblée, Pie IX dénonce dans sa première
encyclique (Qui pluribus, 1846) le rationalisme
ambiant qui oppose la raison et la foi et tend,
dans un style libéral, à l'indifférence en
matière de religion . - Le ton énergique de l'encyclique annonce le
recueil de propositions qui sera connu plus tard
sous le nom de Syllabus (1864) et qui rassemble
des déclarations du pape faites dans différentes
circonstances. C'est le libéralisme philosophique
qui est visé dans ses principes et ses
applications.
9Le libéralisme
- Le libéralisme est né en climat chrétien marqué
par la Réforme, et Locke (1632-1704), l'auteur
des Lettres sur la tolérance (1689-1692), peu
favorable au catholicisme, en a indiqué l'esprit
chacun est libre de choisir sa religion et la
seule attitude possible pour les gouvernements
est la tolérance, car l'essentiel est la paix
civile qui permet à chacun de trouver son bonheur
et d'obtenir par son travail la richesse qui le
garantit. - Pie IX dénonce là une équivoque la liberté, qui
donne accès au bonheur, n'est réalisable que dans
la vérité or la vérité a été annoncée par le
Christ et l'Église catholique en a reçu le dépôt.
S'il suffisait de proclamer les droits de
l'homme, la Déclaration de 1789 aurait libéré
l'humanité, or elle a débouché aussitôt sur la
tyrannie. Le libéralisme est un faux optimisme
sur l'homme. La position de l'Église catholique
peut paraître exclusive comme l'Évangile
lui-même. Pie IX se fait prophète face à la
sagesse de ce monde qui a revêtu l'ample manteau
du libéralisme.
10Pie IX fit l'unanimité contre lui
- Ce long pontificat de trente-deux années qui a
été marqué par la proclamation de deux dogmes,
l'Immaculée Conception de Marie (1854) et
l'infaillibilité du pape (Vatican I, Pastor
aeternus, 1870), reste associé à la condamnation
du monde moderne et à la question romaine. En
fait il inaugure la papauté moderne en exerçant
sa mission indépendamment des puissances
politiques qui, depuis Constantin, avaient menacé
chroniquement le Magistère catholique. Pie IX fit
l'unanimité contre lui en publiant le Syllabus
des erreurs de notre temps (1,864), mais il
acquit dans le même moment, pour l'Église, une
liberté que la proclamation du dogme dé
l'infaillibilité confirma. L'infaillibilité ne
s'exerce que dans des cas bien précis touchant à
la foi et aux mœurs, mais elle libéra le pontife
romain d'un autre genre d'obstacle, interne à
l'Église cette fois, celui des nationalismes
épiscopaux dont le gallicanisme fournit un
exemple signalé.
11 écraser l'infâme
- Le silence de l'Église en matière sociale,
économique et politique depuis la seconde
scolastique, au XVIe siècle, était lié à
l'apparition de l'État-Nation et à la
subordination évidente ou latente de la religion
à la politique dans les sociétés, politiques de
l'Ancien Régime. - Bossuet peut être évoqué ici puisque le grand
orateur, nous l'avons vu, se fit le le
thuriféraire de la monarchie absolue et garda le
silence sur les maux qu'entraînait une pareille
politique. - Ses successeurs au XVIIIe siècle se turent en
laissant la parole aux philosophes de Lumières
qui se proposaient d'écraser l'infâme et de
préparer une Déclaration des droits de l'homme en
ignorant le christianisme.
12Les prophètes ne sont pas tenus
- Le pontificat de Pie IX doit donc être compris
non seulement par comparaison avec celui de son
successeur, Léon XIII, mais aussi par rapport à
l'Ancien Régime qui peu à peu avait tenté
d'asservir l'Église et lui interdire de
s'exprimer sur les questions sociales et
politiques. - Les prophètes ne sont pas tenus de parler comme
des professeurs mais le langage du Syllabus pose
un problème
13le langage du Syllabus pose un problème
- Erreurs qui se rapportent au libéralisme moderne
- LXXVII A notre époque, il n'est plus utile que
la religion catholique soit considérée comme
l'unique religion de l'État, à l'exclusion de
tous les autres cultes. - Alloc. Nemo vestrum, du 26 juillet 1855.
- LXXVIII Aussi c'est avec raison que, dans
quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce
que les étrangers qui s'y rendent y jouissent de
l'exercice public de leurs cultes particuliers. - Alloc. Acerbissimum, du 27 septembre 1852.
- LXXIX Il est faux que la liberté civile de tous
les cultes, et que le plein pouvoir laissé à tous
de manifester ouvertement et publiquement toutes
leurs pensées et toutes leurs opinions, jettent
plus facilement les peuples dans la corruption
des moeurs et de l'esprit, et propagent la peste
de l'indifférentisme - Alloc. Numquam for, du 15 décembre 1856.
- LXXX Le pontife romain peut et doit se
réconcilier et transiger avec le progrès, le
libéralisme et la civilisation moderne. - Alloc. Jamdudum cernimus, du 18 mars 1861.
14Mgr. Dupanloup
- Mgr. Dupanloup, évêque d'Orléans, publia le 25
janvier 1865 un commentaire sous le titre de La
Convention du 15 septembre et l'Encyclique du 8
décembre 1864. Distinguant entre la thèse et
l'hypothèse, l'idéal et le réalisable, il offrait
une lecture moins abrupte c'est ainsi que pour
la thèse LXXX, il expliquait que le pape n'avait
pas à se réconcilier avec ce qui, était bon dans
la civilisation moderne puisqu'il n'avait jamais
cessé de l'encourager, ni avec ce qui était
mauvais qu'il devait évidemment condamner. - L'évêque d'Orléans reçut une lettre d'approbation
du pape qui portait au moins sur ce qu'il
réfutait sans entériner la distinction entre
thèse et hypothèse.
15pluralisme impraticable
- Lues aujourd'hui, ces thèses renvoient à un
statut de chrétienté où les liens étroits entre
politique et religion rendaient le pluralisme
impraticable. Aujourd'hui, les pays musulmans
comme l'Arabie Saoudite ou l'Iran qui imposent la
Charia, ou loi musulmane, comme loi civile sont
dénoncés comme ne respectant pas les droits de
l'homme. - Il y a là une situation très instructive pour
l'application de la doctrine sociale de l'Église
catholique que nous avions déjà rencontrée à
propos de l'augustinisme politique et de
l'attitude d'Augustin lui-même vis-à-vis des
donatistes. - La foi ne s'impose pas par la contrainte, mais
l'être humain a une dimension sociale qui le rend
solidaire des autres et de son temps.
16Pie IX ne pouvait se résigner à une sécularisation
- L'application des principes est oeuvre de sagesse
et de prudence, ce qui réclame du temps pour
tenir compte des mentalités. Si Pie IX avait
déclaré que chacun pouvait suivre librement
n'importe quelle religion ou rester sans aucune
appartenance, il n'aurait pas été compris du
grand nombre. On y aurait vu la ratification de
l'indifférentisme parce que dans les pays de
tradition catholique au me siècle, deux attitudes
cristallisaient la plupart des comportements on
était pour ou contre l'Église. Cette réalité
sociologique, qui relève de l'histoire des
mentalités, n'est plus la nôtre dans la plupart
des pays industrialisés d'Europe. - Il y a plus Pie IX ne pouvait se résigner à une
sécularisation qui en Europe, mais non pas en
Amérique du Nord, comme le remarqua Tocqueville,
se soldait par un abandon de toute religion
révélée au profit d'idéologies immanentes
s'organisant en contre-Eglises
franc-maçonneries, mouvements socialistes ou
nationalistes, ligues racistes, etc.
17au risque de scandaliser les sages
- Ce contexte conflictuel conduisit Pie IX,
politiquement désarmé, à parler en prophète pour
mobiliser les coeurs, au risque de scandaliser
les sages. - Newman, le grand converti anglais, vécut
douloureusement ce drame de l'intransigeance de
Rome. C'était un intellectuel, un sage et un
saint. On le soupçonna de sympathie pour les
libéraux et le libéralisme. Son compatriote
Manning, converti et devenu cardinal,
applaudissait au contraire le style abrupt de Pie
IX et les deux hommes eurent du mal à se
supporter. Ajoutons qu'un autre cardinal, Joachim
Pecci, se sentit fort proche de Newman et
lorsqu'il fut élu pape sous le nom de Léon XIII,
il éleva à la pourpre son cardinal (1) .
18Centrer sur la Révélation
- Pour conclure, citons ce jugement sur le
pontificat de Pie IX - Derrière cette oeuvre de condamnation, il y a
une affirmation positive toujours sous-jacente
le véritable rapport de la créature à Dieu et la
réalité de l'ordre surnaturel qui conditionnent
la vision catholique de l'homme et de la société
civile et religieuse. Le pontificat de Pie IX,
caractérisé dans les institutions ecclésiastiques
par la liquidation définitive du gallicanisme et
du joséphisme de l'Ancien Régime, marque dans
l'ordre de la pensée un courageux effort pour
éliminer les dernières traces du déisme
naturalisme qui avait caractérisé la pensée
chrétienne pendant la période de lAuflklärung
et pour centrer à nouveau celle-ci sur les
données fondamentales de la Révélation les
mystères du Verbe incarné, de la grâce et des
sacrements 2.
19le contexte a changé
- Ce retour au spirituel dans un monde en pleine
sécularisation préparait lceuvre de Léon XIII
qui allait poser les bases d'une doctrine sociale
reprenant tout l'héritage chrétien et tirer de
ces anciennes richesses un enseignement social
adapté à l'âge industriel et que ses successeurs
n'ont pas cessé de développer depuis un siècle.
La déclaration conciliaire de Vatican II sur la
liberté religieuse (Dignitatis humanae, 1965)
s'exprime autrement que le Syllabus, nous le
verrons plus loin mais si l'approche est
différente et même parfois contraire, elle n'est
pas contradictoire car, à l'instar des droits de
l'homme d'abord condamnés puis appuyés par le
Magistère catholique, le contexte a changé,
donnant une autre portée aux mêmes termes. Hier
la liberté était comprise en opposition à
l'autorité de l'Église, aujourd'hui on fait appel
à elle pour la retrouver lorsqu'elle était perdue.
20le futur Léon XIII
- Vincent Joachim Pecci, le futur Léon XIII, est né
en 1810, près de. Rome, d'une famille de petite
noblesse. Destiné très jeune au sacerdoce, il fit
des études chez les jésuites et au collège romain
puis entra à l'académie des nobles
ecclésiastiques (1832). A 27 ans, il reçut le
sacerdoce et occupa diyerses fonctions dans
l'administration des États de l'Église. En 1843,
il fut consacré évêque et nommé à la nonciature
de Bruxelles, capitale du pays le plus
industrialisé du continent à cette époque. Trois
ans plus tard il se retrouva à Pérouse à la suite
d'une cabale et fut nommé cardinal en 1853.
Auprès de Pie IX, on doit noter la figure
énigmatique et médiocre du cardinal Antonelli,
simple diacre, qui devint secrétaire d'État et
contribua à écarter l'évêque Pecci des affaires
romaines. - Durant trente-cinq ans, le futur Léon XIII put se
préparer, dans son évêché de province, à une
tâche qu'il ne pouvait imaginer.
21Léon XIII se trouva confronté avec le socialisme
- Préparation spirituelle et intellectuelle qui
vont expliquer sa haute doctrine et notamment sa
connaissance approfondie de saint Thomas dont la
théologie et la philosophie inspireront son
oeuvre et à travers elle l'enseignement social de
l'Église elle-même. Pie IX avait combattu le
libéralisme, Léon XIII se trouva confronté avec
le socialisme.
22un socialisme hostile à la religion
- La Ière Internationale des travailleurs
(1864-1876), d'inspiration d'abord proudhonienne
puis marxiste, n'avait pas rassemblé beaucoup
d'adhérents. La IIe Internationale (1889-1914),
qui adopta d'emblée le marxisme, était un
mouvement de masse muni d'une doctrine et offrait
un projet de société dont la suite montra toute
la force. La social-démocratie allemande, coeur
de la IIe Internationale, était le foyer du
marxisme orthodoxe qui faisait du socialisme, et
bientôt du communisme, une doctrine
intellectuellement très élaborée et mobilisatrice
auprès des masses. Au début du me siècle, en
effet, le socialisme utopique n'avait été
qu'un rêve suggestif, mais à la fin du XIXe le
socialisme était devenu une réalité
institutionnelle et même un monde radicalement
contestataire à l'intérieur de la société
industrielle d'inspiration libérale. Enfin et
surtout, la misère ouvrière, sous la forme d'une
prolétarisation massive, terrain par excellence
du radicalisme révolutionnaire, posait en
elle-même une question dramatique que l'Église ne
pouvait laisser sans réponse, indépendamment de
la menace d'un socialisme hostile à la religion.
23vaste projet de rechristianisation
- Léon XIII compris que des condamnations ne
suffiraient et, s'inspirant du grand pape
médiéval Innocent III qu'il admirait, il conçu un
vaste projet de rechristianisation d'une société
devenue industrielle et peu à peu sécularisée.
L'encyclique Rerum novarum (1891) n'est qu'un des
éléments de cet idéal historique, tourné vers
l'avenir et s'inspirant analogiquement du passé,
grâce auquel Léon XIII voulait relever le défi
que le socialisme portait à l'Église au nom même
de la solidarité avec les plus pauvres.
24fondements d'un corpus de doctrine sociale
- On trouvera, plus loin, dans le Lexique, de
nombreuses citations de Léon XIII posant les
fondements d'un corpus de doctrine sociale qui
n'a cessé de se développer depuis un siècle (1).
Nous nous bornerons à en indiquer ici les grandes
lignes - Dans la liste des actes principaux de son
règne que la pape Léon XIII a dressée à
l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de son
pontificat, écrit Etienne Gilson, il a placé en
première ligne l'encyclique Aeterni Patris,
donnée à Rome le 4 août 1879. Ce document porte
traditionnellement le titre suivant, qui est tout
un programme "Du rétablissement, dans les
écoles catholiques, de la philosophie chrétienne
selon l'esprit du Docteur angélique saint Thomas
d'Aquin. " Les grandes encycliques qui suivirent,
y compris les programmes de réforme sociale,
supposent effectuée cette première réforme
intellectuelle, condition nécessaire de toutes
les autres (2).
25l'oeuvre de Léon XIII
- Cette réflexion d'un philosophe qui a contribué a
faire connaître la pensée de saint Thomas avec
autant de science que d'art littéraire, ne doit
pas être oubliée, parce que la philosophie, dans
l'esprit du grand docteur, est à la base de
l'oeuvre de Léon XIII en matière politique,
sociale et économique. Les vingt encycliques
consacrées à ces matières, entre 1878 et 1901,
traitent directement de la politique et des
relations entre l'Église et l'État dans la moitié
des cas. Les thèmes proprement sociaux et
économiques sont quantitativement moins
fréquemment abordés, mais l'originalité de
l'approche, sa nouveauté jointe à l'urgence de
ces questions expliquent que l'oeuvre de Léon
XIII ait été associée aux solutions proposées par
l'Eglise dans ce domaine.
26Rerum novarum (1891)
- Rerum novarum (1891) est incontestablement la
plus importante des encycliques proprement
sociales de Léon XIII et l'on note que d'emblée
il entreprend de réfuter la thèse socialiste,
point de départ pour développer sa pensée et
esquisser l'idéal historique chrétien de société
humaine à l'âge industriel. La propriété privée,
la famille, les classes, l'État et les syndicats
sont successivement examinés. Mais au coeur du
projet social-chrétien présenté par Léon XIII, le
binôme Justice-Charité tient une place
essentielle, disons architectonique parce que
tous les autres aspects en dépendent directement
ou indirectement.
27socialisme d'inspiration marxiste
- Le socialisme d'inspiration marxiste, ne parle
guère de justice, mais c'est une protestation
concrète contre les injustices que l'on rencontre
dans l'action militante. La charité au contraire
est rejetée et méprisée, non seulement du fait
des caricatures données par trop de chrétiens,
mais plus profondément en raison de son contenu
théologal. Saint Augustin caractérisait la cité
céleste par l'amour de Dieu jusqu'au mépris de
soi la cité socialiste est idéalement
philanthropique et se borne à l'amitié entre ses
membres rendus économiquement égaux.
28Immortale Dei (1885).
- La cité chrétienne conjugue les deux finalités,
terrestre et éternelle - L'Église, bien qu'en soi et de sa nature elle
ait pour but le salut des âmes et la félicité
éternelle, est cependant, dans la sphère même des
choses humaines, la source de tant et de tels
avantages qu'elle n'en pourrait procurer de plus
nombreux et de plus grands, lors même qu'elle eût
été fondée surtout et directement en vue
d'assurer la félicité de cette vie (1).
29Vivifier par les valeurs chrétiennes
- Léon XIII renvoie parfois à la réussite médiévale
du XIIe siècle, mais il ne s'agit pas d'une
nostalgie d'un âge chrétien maintenant révolu,
c'est une application analogique que propose le
pape. Il demande que la société moderne soit
vitalement animée, informée dans le langage
d'Aristote, par les valeurs chrétiennes
primauté du spirituel, dignité de la personne,
importance de la cellule familiale, hiérarchie
des biens communs et, nous l'avons déjà indiqué,
place centrale de la justice inséparée de la
charité qui doit être le lien suprême, plus fort
que la solidarité et plus profond que la simple
amitié.
30Justicecharité
- Mais c'est encore trop peu de la simple amitié
si l'on obéit aux préceptes du christianisme,
c'est dans l'amour fraternel que s'opérera
l'union. De part et d'autre, on saura, et l'on
comprendra que les hommes sont tous absolument
issus de Dieu, leur Père commun, que Dieu est
leur unique et commune fin, et que Lui seul est
capable de communiquer aux anges et aux hommes
une félicité parfaite et absolue que tous ont
été également rachetés par Jésus-Christ et
rétablis par Lui dans leur dignité d'enfants de
Dieu et qu'ainsi un véritable lien de fraternité
les unit, soit entre eux, soit au Christ leur
Seigneur qui est le premier-né de beaucoup de
frères, primogenitus in multis fratribus. Ils
sauront enfin que tous les biens de la nature,
tous les trésors de la grâce appartiennent en
commun et indistinctement à tout le genre
humain(1).
31Préfiguration de la civilisation de lAmour
- Ce passage de Rerum novarum (1891) est une
définition anticipée de ce que Paul VI appellera
la Civilisation de l'amour (1975). Les biens sont
communs, non pas sous la forme d'un communisme
d'État, mais dans une communion où la charité
inspire le partage matériel, culturel et
spirituel. - Tel est l'idéal historique que Léon XIII transmit
à ses successeurs, avec sa double composante
sociale et mystique dans l'esprit du réalisme de
saint Thomas que le pape avait recommandé avec
tant d'insistance au début de son pontificat
(Aeterni Patris, 1879).