Title: Accompagner et former les professionnels de l'ducation avant de les valuer Philippe Perrenoud Facult
1Accompagner et former les professionnels de
l'éducation avant de les évaluer Philippe
PerrenoudFaculté de psychologie et des sciences
de léducationUniversité de Genève2007
2Adresses Internet
- http//www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/
- Laboratoire Innovation-Formation-Education
- LIFE
- http//www.unige.ch/fapse/SSE/groups/life
31. Lobsession dévaluer
- Pendant longtemps, le système éducatif a affiché
une volonté de ne pas savoir. Statistiques
scolaires pauvres, méconnaissance des inégalités
entre sexes, classes sociales et communautés
ethniques, ignorance des acquis véritables des
élèves au sortir de léducation de base. - On tombe aujourdhui dans lexcès inverse, dans
le monde du travail en général. Dans Lévaluation
du travail à lépreuve du réel (Dijon, INRA,
2003) Christophe Dejours montre quune part
croissante et impressionnante du temps de travail
est vouée à démontrer quon travaille ! - Cette culture de lévaluation
institutionnelle népargne pas le système
éducatif. Avec des aspects positifs (lucidité) et
des dérives néo-libérales et/ou bureaucratiques.
42. Trois niveaux dévaluation
- Les enquêtes nationales ou internationales sur le
niveau des élèves. TIMMS, PISA et dautres
enquêtes, sous légide de lOCDE, dautres
organisations internationales ou de consortiums
indépendants comparent les élèves et classes les
pays. On retrouve les mêmes comparaisons au sein
de chacun. - Lévaluation des établissements. Leurs
performances donnent lieu à des palmarès ,
surtout pour les lycées et les universités. On
conceptualise leffet-établissement . Dans
certains pays, on compare la performance réelle à
la performance attendue en fonction de la
composition sociologique du public. Les
établissement sous-performants sont avertis,
puis sanctionnés, voire fermés. - Lévaluation des enseignants, soumis à des
standards voire à une obligation de résultats.
53. Ce quil faut en penser
- À certains égards, le développement
dindicateurs, de mesures, dobservatoires des
effets constitue un progrès, une source de
lucidité. - Mais les constats et leur médiatisation
favorisent une exploitation politique simpliste
et des régulations aussi spectaculaires
quinefficaces. Exemple de la lecture. - Lévaluation surestime la rationalité des système
éducatifs et notamment des curricula et des
objectifs de formation. - Du constat à la recherche du coupable ou dun
bouc émissaire, le pas est vite franchi. Le
pouvoir dévaluer est un pouvoir considérable, un
pouvoir qui vient des enfers et que lon nose
regarder en face. - Lobligation de résultats nest pas une idée
applicable en éducation.
64. Un progrès
- Aucune démocratie ne peut se permettre dignorer
les inégalités quelle engendre ou échoue à
affaiblir. - Aucune politique publique nest crédible si elle
ignore tout de son efficacité. - Lefficacité nest pas un tabou dans le champ
éducatif, instruire est une activité qui prétend
produire des effets par des moyens rationnels.
Cerner ces effets et les améliorer na rien de
honteux. - Le souci defficacité est dautant moins
condamnable quelle a partie liée avec léquité
ce sont les enfants des classes défavorisées qui
souffrent le plus de linefficacité du système
éducatif. - Il reste à faire en sorte que lévaluation
institutionnelle améliore le système éducatif
plutôt que de le paralyser ou de le jeter en
pâture aux médias.
75. Refuser le simplisme
- 20 des adolescents et jeunes adultes sont
brouillés avec la lecture et plus généralement la
langue écrite. - Ce constat préoccupant (et assez fiable) issus
denquêtes internationales comme PISA sest hélas
transformé en une compétition entre pays, chacun
tentant de faire bonne figure dans le classement,
sur le modèle du nombre de médailles obtenues aux
Jeux Olympiques. - Les ministres en exercice sont évidemment
interpellés et doivent donner limpression de
gérer la situation. - Cela les conduit souvent à ignorer la complexité
des problèmes et les résistances du réel aux
politiques volontaristes. Triomphent alors le
gros bon sens et les mesures à court terme,
aussi illusoires que démagogiques. - La lecture illustre ces dérives. Plutôt que de se
sappuyer sur la recherche et les mouvements
pédagogiques, les politiques reviennent aux
méthodes traditionnelles et à la normalisation
des pratiques.
86. La rationalité parfaite, une illusion !
- Cest le système qui est inefficace pour une
partie des élèves, inutile de chercher des
coupables. - Aucune organisation humaine, quil sagisse du
système ou dun établissement, nest totalement
efficace. Une partie de lénergie est détournée
de la poursuite des objectifs par des enjeux
relationnels, des luttes de pouvoir et de
territoire, des querelles indépassables et donc
des compromis précaires sur les bonnes pratiques,
lorganisation du travail voire sur les finalités
poursuivies. Cest le prix de laction
collective. - Léducation scolaire relève fondamentalement du
politique, non seulement dans ses intentions mais
dans sa gestion quotidienne, du ministère aux
pouvoirs organisateurs. - Elle se heurte de plus à la résistance active ou
passive, à lindifférence, aux ambivalences, aux
ruses des usagers, élèves et parents. Praxis,
léducation nest pas toute-puissante !
97. Le pouvoir dévaluer
- Le pouvoir dévaluer, un pouvoir qui vient des
enfers et que lon nose regarder en face.
Cette phrase de Patrice Ranjard (Les enseignants
persécutés, Paris, Jauze, 1984) vaut pour les
enseignants mais aussi les autres acteurs du
système. - Ce pouvoir est masqué sous les dehors de la
rationalité, de loptimisation des résultats,
bref de la quête du bien public. - Il peut être exercé aussi pour des raisons moins
avouables gagner du temps, empêcher le
changement, éliminer un concurrent, se protéger
dune accusation en désignant le lampiste, se
donner de limportance. - Or, aujourdhui, on confie des tâches
dévaluation à des experts de la qualité et
des effets dont personne ne garantit ni la
compétence ni léthique, souvent autoproclamée. - Qui évalue les évaluateurs ? Cette question
légitime apparaît demblée comme un refus dêtre
évalué, proche de laveu quon a quelque chose à
cacher
108. Quelques arguments insoutenables
- Lenseignement vise des effets. Aucun
professionnel ne saurait y être indifférent. - Ces effets sont partiellement mesurables, il faut
cesser de se réfugier dans le refus de quantifier
au nom de lhumanisme. Certes, les acquis de haut
niveau (raisonnement, anticipation,
argumentation, créativité) sont plus difficiles à
évaluer que les acquis de plus bas niveau.
Travaillons à développer les outils adéquats. - Léchec est imputé à lélève en fin de compte,
mais nul nignore que cest souvent un échec de
lécole, qui na pas trouvé les stratégies
adéquates. - Cessons aussi de nous retrancher derrière
labsence de motivation . Une institution qui
prétend instruire tout le monde de manière
obligatoire doit prendre en charge le
développement du désir et du projet dapprendre
aussi bien que leur réalisation. - Cessons de rejeter la responsabilité sur les
familles ou sur les cycles détudes précédents.
Léducation forme un tout, chacun est responsable
de lensemble. - Cessons de refuser toute évaluation des effets
sous prétexte que chaque établissement ou chaque
classe constitue un monde à part, singulier,
incomparable à tout autre. - Bref, acceptons de rendre des comptes et pour
cela, dabord, de nous rendre compte des effets
que nous produisons comme enseignants et comme
organismes de formation.
119. Lobligation de connaître les résultats
- Il est difficile de trouver une position nuancée
à propos de lobligation de résultats. - Les uns la rejettent catégoriquement, les autres
veulent limposer et sanctionner les résultats
insuffisants. - Il me semble insoutenable de refuser que les
apprentissages des élèves soient mesurés, y
compris au niveau dune classe ou dun
établissement, même sil faut prendre des
précautions. - Il me semble tout aussi indéfendable de dire que
létablissement et les professeurs nont aucune
responsabilité dans ces résultats, aucun compte à
rendre. - On peut aujourdhui faire équitablement la part
du niveau de départ des élèves, de la composition
du public, de circonstances défavorables.
Personne nattend de miracles dun enseignant
recevant des élèves faibles dans un quartier
défavorisé. - Il me paraît donc au minimum quun établissement
et un enseignant devraient accepter
lobjectivation de leur résultats, à condition
que la profession soit associée à la définition
des indicateurs et des dispositifs de régulation
et que les acteurs concernés puissent discuter
des données.
1210. Peut-on et faut-il aller plus loin ?
- Certains systèmes semblent prêts à instituer une
obligation de résultats, le constat étant suivi
de sanctions. - Cette tendance est hélas très forte dans la
conjoncture actuelle et le rapport de force nest
pas favorable aux professionnels dans un monde du
travail où la culture de lévaluation est devenue
dominante et difficile à contester. - Sopposer à toute évaluation de lenseignement ou
dénier toute responsabilité ne pourrait que
renforcer limpression que les professeurs se
prennent pour des intouchables et
discréditer leur profession. - Cherchons donc à développer une alternative
crédible, moins brutale, tenant compte de la
complexité. - Une piste lobligation de compétence.
1311. Trois types dobligations
- On parle parfois de lobligation de moyens, mais
ce concept nest pas clair. - Une obligation de procédure peut sentendre comme
le recours aux méthodes et moyens denseignement
prescrits. Sil peut prouver quil a suivi les
prescriptions, le salarié nest pas responsable
du résultat, la responsabilité incombe aux
concepteurs et responsables du système. - Une obligation de résultats ne juge que les
effets et les impute au professionnel comme sil
en était seul responsable, une fois neutralisée
la part du niveau de départ, de la composition de
la classe et des circonstances défavorables . - Lobligation de procédure est un déni du
professionnalisme et de la professionnalisation
des enseignants. - Lobligation de résultats fait peser sur les
professeurs une attente exorbitante sagissant
dune praxis et dun métier de lhumain dans
lequel on narrive à rien sans la coopération
active de lapprenant, sans son adhésion durable
au projet de linstruire. - Il me semble donc utile de chercher une troisième
voie.
1412. Lobligation de compétences
- Postulat on peut attendre dun professionnel
quil ait les compétences requises pour optimiser
les résultats de son action et sil ne le a pas
quil les développe. - Lobligation de compétences part de lidée que
les professeurs comme les chefs détablissement
souhaitent dans leur grande majorité que leurs
élèves apprennent et réussissent. - Et aussi de lidée que nombre de professeurs sont
daccord de faire partie du problème et de
développer de nouvelles compétences si on leur
donne loccasion de sauver la face et de
progresser dans un climat constructif. - Lobjectivation des résultats devient alors le
point de départ dun processus daccompagnement
et de formation.
1513. Posture réflexive et décentration
- Tout accompagnement sera vain si le professionnel
na aucun rapport réflexif et analytique à sa
pratique. Responsabilité de la formation,
initiale et continue. - Idéalement, un praticien réflexif sollicite un
regard externe lorsquil en a besoin, par souci
de décentration ou sil a limpression dêtre à
la limite de ses ressources propres et de ce que
peuvent lui apporter ses interlocuteurs et
partenaires habituels. - Dans le monde tel quil est, la pratique
réflexive reste une ascèse et il nest pas
déraisonnable de la stimuler par des dispositifs
fortement incitatifs, voire contraignants. - On a, comme souvent, affaire à un double seuil
en deçà dune certains sollicitation externe, la
machine réflexive ne se met pas en route
au-delà dun second seuil, elle se bloque et le
sujet actionne des mécanismes de défense, des
stratégies de dissimulation, de justification, de
dénégation.
1614. Culture de la confrontation
- Il importerait que la culture de
lévaluation devienne une culture de la
confrontation entre points de vue et de
lélucidation des obstacles quon rencontre dans
le travail quotidien. - Cette analyse peut être stimulée par
- une posture intériorisée, un rapport positif à
lanalyse, une cohérence avec le type de
professionnalité revendiquée - des interactions coopératives dans le travail
quotidien, y compris avec les élèves - des rencontres avec des intervenants externes
dont cest le rôle et lexpertise spécifiques.
1715. Conseillers plutôt quinspecteurs
- Dans le meilleur des mondes, chacun évaluerait et
développerait spontanément ses compétences . - Dans le vrai monde, lautocontrôle ne suffit pas.
- Il importe donc que les professionnels soient
régulièrement entendus et observés par des tiers
légitimes. - Mais linspection classique est vécue dabord
comme composante de la hiérarchie, source dune
notation ou instance qui détecte et sanctionne
les déviances. - Or, ce quil faudrait, ce sont des conseillers
pédagogiques aidant chacun à établir son bilan de
compétences et à dresser un plan de formation. - Cela nexclut pas une inspection classique, mais
le mélange des genres rend lévaluation formative
improbable. - Les systèmes éducatifs ont besoin de forces et de
compétencs daccompagnement des professionnels.
1816. Partir des situations et des problèmes
- On reviendra dautant mieux aux compétences
quon les oublie provisoirement pour sabsorber
dans lanalyse fine dactions situées. - Le but nest pas de dire ce quil aurait fallu
faire, ni de louer, ni de blâmer. Cest de faire
expliciter un raisonnement professionnel, en
adoptant une posture qui ne soit ni de recherche,
ni de formation, mais daide à la régulation à
partir déléments de réponse à deux questions - Dans les situations rencontrées, me suis-je donné
des moyens suffisants, adéquats de résoudre le
problème, de faire face à lobstacle ? - De façon plus générale, dans quel registre de
savoirs savants, experts ou personnels, dans quel
ensemble de ressources, avec quelle prise de
risque, quelle ouverture à des apports externes,
quelle méthode, quelle énergie et persévérance
ai-je cherché les moyens daffronter un problème
professionnel ?
19Adresses Internet
- http//www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/
- Laboratoire Innovation-Formation-Education
- LIFE
- http//www.unige.ch/fapse/SSE/groups/life