Title: volution des organisations et souffrance au travail Philippe Davezies
1Évolution des organisations et souffrance au
travail Philippe Davezies
Formation, action citoyenne, janvier 2008
2Les transformations de lorganisation du travail
- Taylorisme une activité prévisible administrée
par en haut. - Organisations actuelles adaptation permanente
de lactivité à un environnement changeant. -
- Évolution vers le pilotage par laval.
3- Proportion de salariés dont le rythme de travail
dépend dune demande extérieure obligeant une
réponse immédiate - 28 en 1984
- 54 en 1998.
- Serviciarisation
4Conséquences en matière dencadrement
- Il nest plus possible de prescrire le travail
dans le détail. - Lorganisateur se mue en manager.
- Appel à lautonomie, linitiative.
- Les salariés assument la responsabilité dune
part croissante de lorganisation du travail.
5Des évolutions potentiellement positives !
- Lévolution du travail impose de faire appel à
lintelligence des salariés. - Le contenu relationnel plus explicite sollicite
la sensibilité et léthique personnelle.
6- Ces évolutions devraient avoir un effet positif
sur la santé des salariés. Ce nest pas le cas - Explosion des troubles musculo-squelettiques
- Montée de la souffrance psychique
- Menaces sur la sécurité
- Pourquoi ?
7Les transformations du contexte social et
économique
-
- Exacerbation de la concurrence
- sur les marchés de biens et de services.
- sur les marchés de capitaux.
- sur les marchés du travail.
- ? INTENSIFICATION
8La pression du management
- Le contrôle ne sest pas relâché il sest
accentué. - Il repose sur des indicateurs de plus en plus
abstraits. - Il répercute sous forme de ratios la pression des
logiques financières.
9Des évolutions dissonantes
- Lévolution de lactivité vers les modalités
dorganisation des services donne une importance
croissante aux dimensions qualitatives. - Les évaluations par la hiérarchie reposent de
plus en plus sur des indicateurs quantitatifs,
statistiques, comptables (indicateurs pertinents
pour évaluer les actions répétées à lidentique
sur la chaîne taylorienne).
10Effets de lintensification sur lactivité
- Une illusion penser que lintensification
conduit simplement à faire la même chose plus
vite. - Aux différents niveaux durgence, on ne fait pas
le même travail. - De plus en plus, travailler, cest trier dans
lensemble des choses quil faudrait faire. - Le meilleur indicateur de charge de travail,
cest le resserrement de lactivité sur les
objectifs jugés prioritaires. - Cela se traduit par une dégradation de la
prestation.
11Structure du conflit 1 - Le point de vue du
travail
- Les salariés ne se contentent jamais de se
conformer aux exigences formelles de la
direction. - Travailler correctement implique
- - de prendre en considération tout un ensemble
de particularités que la hiérarchie nest pas en
mesure de percevoir, - - daffirmer sa responsabilité sur un fragment
du monde.
12Structure du conflit 2 - Le point de vue du
management
- Lintensification implique accélération et
standardisation. - La qualité pour le marché et dans le temps du
marché. - Lexcellence, cest le juste nécessaire .
13- Exemple dans la conception de prototypes de haute
technologie - Lobjectif, c'est le juste nécessaire. Ça fait
partie du TQM, de l'excellence. L'objectif, c'est
de savoir satisfaire le client. Tout le monde y
trouve son compte on joue gagnant - gagnant. - L'excellence, c'est de ne pas en faire plus qu'il
ne faut. C'est comme au foot, si un but est
nécessaire pour gagner, il faut marquer un
point. Après on peut éventuellement en marquer un
deuxième mais là cest quon se fait plaisir.
Limportant cest de marquer un point.
14- Si on doit peindre un mur, si on a cinq heures
pour le peindre, on va le faire avec tout son
coeur, on va bien protéger le sol, on va faire ça
très très propre. Mais si on n'a qu'une
demi-heure et sil faut que le mur soit peint, le
résultat en termes de qualité sera moindre. Mais,
d'une manière ou d'une autre, on n'a pas à s'en
vouloir parce que le résultat dépend des
ressources quon a. Donc, une fois qu'on a bien
défini les ressources, on est capable de définir
le standard de qualité qui y correspond. Et on ne
n'a pas à s'en vouloir personnellement de la
qualité du travail .
15-
- On n'en a rien à foutre de ce que tu penses de
ton boulot , l'essentiel c'est de vendre le
produit. Donc il faut que tu serves le client,
que tu fasses quelque chose de bien et vite.
Enfin pas forcément bien mais vite pour que le
client lachète. Ta satisfaction personnelle
n'est pas importante .
16- Autre exemple en centre dappel
- La conception du métier de conseiller et les
critères dévaluation de la qualité du travail
ont changé les agents doivent sefforcer de
passer dune conception individuelle (le client
que jai en ligne est satisfait) à une conception
au niveau de lentreprise (lensemble des clients
appelant le service sont satisfaits)
17- Disqualification du détail
- lingénieur,
- lemployé du centre dappel,
- laide-soignante,
- le conseiller financier,
- le technicien de réparation,
- etc.,
- sont incités à bâcler.
18Lexemple des hôpitaux américains
- Dans les années 80 et 90, les hôpitaux
américains ont été soumis aux mêmes mesures de
restructuration que les entreprises (downsizing,
reingeneering, etc..). - En 1996, Rapport de lInstitut of Medicine
demandé par le Congrès des États-unis les
conséquences des mesures de réorganisation sur le
devenir des patients nont pas été correctement
évaluées et augmentent la possibilité deffets
délétères sur la qualité des soins. - (S. Person, 2004).
19- Des dizaines détudes référencées dans la
littérature internationale mettent en évidence - Des soins réalisés en urgence, retardés, omis,
fragmentés, ou erronés, - une dégradation des indices de qualité de la
prise en charge (taux de chutes de patients,
descarres, dinfections nosocomiales, de
complications post-opératoires) - avec, dans certains cas, un résultat inverse à
celui recherché une augmentation du coût de la
prise en charge hospitalière.
20- En 2002, une étude menée dans 168 hôpitaux de
Pennsylvanie a montré que chaque patient
additionnel par infirmière était associé avec une
augmentation - de 7 du risque de mourir dans les 30 jours
suivant ladmission, - de 23 du taux de Burn out au sein du
personnel - (L. Aiken, JAMA, 2002)
21Le monde du travail est traversé par une
conflictualité sur les critères dévaluation du
travail
- Le discours théorique et lapproche abstraite du
travail ( vu davion, tout va bien ) - le rapport sensible au travail, avec ses
contradictions et ses dilemmes éthiques.
22Deux perspectives
- La qualité est assurée par la technique,
lorganisation, le système. - La qualité est assurée par la mobilisation face à
ce que lorganisation ne prend pas en compte.
23- Le phénomène peut-être le plus préoccupant
- La perte des repères communs permettant de
définir un travail bien fait.
24- Chacun se débrouille comme il peut.
- Les repères communs sestompent.
- La sensibilité à la critique sexacerbe.
- La solidarité recule.
- Comme la capacité à affirmer le point de vue du
travail face à labstraction de la prescription. - Le sentiment de faire du mauvais travail est vécu
sur le mode de lindignité personnelle.
25Effets sur le fonctionnement social
Trier dans tout ce quil faudrait faire
Augmentation de la charge
Conflits inter personnels
Recul de lentraide et de la solidarité.
Individualisation des stratégies
Perte des repères communs
26- Réponse du management
- la procéduralisation
- Qualité, normalisation, traçabilité le retour
de la prescription. - Paradoxe la normalisation contribue à une
augmentation de la distance entre travail
prescrit et travail réel. - Elle pousse à la dissimulation du travail réel.
- Quelques exemples dans le secteur nucléaire
27- En 1997, la direction d'EDF annonce quun
réacteur de la centrale de Paluel a fonctionné
pendant quarante jours avec un paramètre erroné
sans que les techniciens responsables en
informent la direction du site. - À l'origine, l'agent chargé de paramétrer
l'ordinateur qui sert au pilotage du coeur du
réacteur a fait une erreur de calcul. Il l'a
détectée deux jours plus tard et a prévenu son
supérieur. -
28- Pourtant, selon la DSIN, aucune action
corrective n'a été mise en oeuvre par son
service. Il n'a pas été procédé à une analyse
formalisée des conséquences potentielles de cet
événement et les services compétents nen ont pas
été informés, pas plus que les opérateurs en
salle de commande . - (Le Monde, 28 mars 1997)
29-
- En février 1998, dans son rapport annuel sur la
sûreté du parc nucléaire français, Claude
Frantzen, inspecteur général à EDF, explique que
désormais, les sources danomalies sont surtout
liées à lorganisation et aux comportements
humains . - (Le Monde, 26 février 1998)
-
30- Le 11 mars 1998, à la centrale du Tricastin, un
agent EDF subit une irradiation en pénétrant en
zone rouge. - Le responsable de l'autorité de sûreté considère
que cet incident est révélateur d'un très grave
dysfonctionnement dans l'application des règles
de radioprotection . - Il affirme qu'EDF devra procéder à une remise
en ordre totale . - (Le Monde, 19 mars 1999)
31- Le 2 avril 2001, un incident, lors du
rechargement d'un réacteur de la centrale de
Dampierre, conduit le directeur adjoint de
l'Autorité de Sûreté Nucléaire à accuser une
organisation insuffisante , un manque de
rigueur dans la réalisation et le contrôle ,
une ergonomie des matériels et des postes de
travail inadaptés , l'emploi de personnes non
habilitées et des dysfonctionnements
récurrents de certains matériels . - Encore une fois, il est souligné que ces
critiques concernent l'ensemble du parc d'EDF. - (Le Monde, 4 octobre 2001)
32Les dimensions dramatiques
de lintensification
- Assurer la production selon les critères de la
hiérarchie - tout en préservant les espaces supplémentaires
investis par la responsabilité personnelle. - Une exigence être en pleine possession de ses
moyens. - Fragilisation personnelle (problème
dorganisation, problème de santé, difficulté
familiale) ? perte de maîtrise sur lactivité ?
risque de basculement dans la maladie.
33Le trépied symptomatique de lintensification du
travail
- Impossibilité de maintenir un travail de bonne
qualité - dégradation dindicateurs de qualité qui ne sont
pas pris en compte par la direction mais qui ont
souvent, à terme, un impact économique sérieux. - Conflits interpersonnels
- accusation de harcèlement moral,
- conflits entre les agents eux-mêmes.
- Atteintes à la santé
- accidents,
- envahissement de la vie personnelle et crises
dans la famille, - TMS,
- Dépressions, suicides
34- Les effets sur la santé sont liés
- à des perturbations qualitatives de lactivité.
- Dans le travail, ce qui fait mal,
- ce nest pas ce quon fait..
- cest ce que lon ne fait pas.
- Les réponses quappelait la situation
- et que lon na pas pu apporter.
- (Yves Clot)
35Les exigences de la situation
- Ramener dans le débat social les questions
dorganisation que les salariés vivent comme des
drames personnels. - Reconstruire la capacité à penser le travail et à
en discuter avec les collègues. - Porter dans le débat avec le management les
dimensions que le personnel sefforce de
promouvoir ou de préserver.
36Orientations pour laction
- 1 - Lorsquune organisation du travail est
nuisible pour la santé des salariés, il est très
peu probable quelle soit cohérente du point de
vue de la production. - 2 Cest dans la mesure où les contradictions,
dilemmes et impasses de lorganisation du travail
sont affrontées dans lisolement quelles
conduisent à la pathologie.
37- 3 - Il faut éviter de sen tenir aux explications
en termes individuels ou inter individuels et
remettre en discussion ce quimpliquerait, pour
les différents intéressés, de faire un travail de
bonne qualité. - 4 - Quitter les discours généraux et revenir à
des approches concrètes, en situation. - 5 Savoir que le diable est dans les détails.
38- Un certain nombre de textes sur la santé au
travail sont disponibles sur le site - http//philippe.davezies.free.fr