Title: Baudelaire, Les fleurs du mal,
1Baudelaire, Les fleurs du mal, Les Phares
- Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
- Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
- Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
- Passent, comme un soupir étouffé de Weber
- Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
- Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
- Sont un écho redit par mille labyrinthes
- Cest pour les cœurs mortels un divin opium !
2Baudelaire, Salon de 1846
- Cet hymne terrible à la douleur faisait sur sa
classique imagination leffet des vins
redoutables de lAnjou, de lAuvergne ou du Rhin,
sur un estomac accoutumé aux pâles violettes du
Médoc. (OC II, p. 436)
3- Salon de 1846
- Exposition universelle (1855)
- Lœuvre et la vie dEugène Delacroix (1863)
- Poème du haschich. (1860)
- Max Milner, Limaginaire des drogues. De Thomas
De Quincey à Henri Michaux, Paris, Gallimard,
2000, pp. 134-149.
4- Vous pouvez vivre trois jours sans pain - sans
poésie, jamais (OC II, p. 415) - tout homme bien portant peut se passer de
manger pendant deux jours de poésie, jamais (OC
II, p. - Or vous avez besoin dart.
- Lart est un breuvage rafraîchissant et
réchauffant, qui rétablit lestomac et lesprit
dans léquilibre naturel de lidéal. (OC II, pp.
415-416)
- Du vin et du hachich
- Un homme qui ne boit que de leau a un secret à
cacher à ses semblables. (OC, p. 328) - ne buvait que du lait ! (OC, p. 329)
- cest par le sentiment seul que vous devez
comprendre lart (OC II, p. 416)
5- Je crois sincèrement que la meilleure critique
est celle qui est amusante et poétique un
beau tableau étant la nature réfléchie par un
artiste, - celle qui sera ce tableau réfléchi par
un esprit intelligent et sensible. Ainsi le
meilleur compte rendu dun tableau pourra être un
sonnet ou une élégie. (OC II, p. 418)
- Le romantisme nest précisément ni dans le choix
des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la
manière de sentir. (OC II, p. 420) - Qui dit romantisme dit art moderne, -
cest-à-dire intimité, spiritualité couleur,
aspiration vers linfini, exprimées par tous les
moyens que contiennent les arts. (OC II, p. 421)
6- Le romantisme est fils du Nord, et le Nord est
coloriste les rêves et les féeries sont enfants
de la brume. En revanche le Midi est
naturaliste, car la nature y est si belle et si
claire, que lhomme nayant rien à désirer, ne
trouve rien de plus beau à inventer que ce quil
voit le Nord souffrant et inquiet se
console avec limagination (OC II, p. 421)
- Quand le grand foyer descend dans les eaux, de
rouges fanfares sélancent de tous côtés une
sanglante harmonie éclate à lhorizon et le vert
sempourpre richement. Mais bientôt de vastes
ombres bleues chassent en cadence devant elles la
foule des tons orangés et rose tendre qui sont
comme lécho lointain et affaibli de la lumière.
Cette grande symphonie du jour, qui est
léternelle variation de la symphonie dhier,
cette succession de mélodies, où la variété sort
toujours de linfini, cet hymne compliqué
sappelle la couleur. On trouve dans la couleur
lharmonie, la mélodie et le contrepoint. (OC II,
p. 423)
7- Lac de sang le rouge - hanté des mauvais
anges surnaturalisme - un bois toujours
vert le vert, complémentaire du rouge - un
ciel chagrin les fonds tumultueux et orageux de
ses tableaux - les fanfares et Weber idée de
musique romantique que réveillent les harmonies
de sa couleur. (OC II, p. 595)
- un coloriste peut être paradoxal dans sa
manière dexprimer la couleur, létude de la
nature conduit souvent à un résultat tout
différent de la nature. (OC II, p. 424)
8- Lair joue un si grand rôle dans la théorie des
couleurs, que, si un paysagiste peignait les
feuilles des arbres telles quil les voit, il
obtiendrait un ton faux attendu quil y a un
espace dair bien moindre entre le spectateur et
le tableau quentre le spectateur et la nature.
(OC II, p. 425)
- La bonne manière de savoir si un tableau est
mélodieux est de le regarder dassez loin pour
nen comprendre ni le sujet ni les lignes. Sil
est mélodieux, il a déjà un sens, et il a déjà
pris place dans le répertoire des souvenirs. (OC
II, p. 425)
9- vu à une distance trop grande pour analyser ou
même comprendre le sujet, un tableau de Delacroix
a déjà produit sur lâme une impression riche,
heureuse ou mélancolique. (OC II, p. 595) - Les coloristes sont des poètes épiques. (OC II,
p. 426)
- Un tempérament moitié nerveux, moitié bilieux,
tel est le plus favorable aux évolutions d'une
pareille ivresse ajoutons un esprit cultivé,
exercé aux études de la forme et de la couleur
si l'on ajoute à tout cela une grande finesse
de sens que j'ai omise comme condition
surérogatoire, je crois que j'ai rassemblé les
éléments généraux les plus communs de l'homme
sensible moderne, de ce que l'on pourrait appeler
la forme banale de l'originalité. (OC, pp.
374-375)
10Théophile Gautier, Le club des hachichins, publié
en 1846
- Si vous êtes une de ces âmes, votre amour inné de
la forme et de la couleur trouvera tout d'abord
une pâture immense dans les premiers
développements de votre ivresse. Les couleurs
prendront une énergie inaccoutumée et entreront
dans le cerveau avec une intensité victorieuse.
Délicates, médiocres, ou même mauvaises, les
peintures des plafonds revêtiront une vie
effrayante . (Baudelaire, OC, p. 375)
- Je regardai alors au plafond, et japerçus une
foule de têtes sans corps comme celles des
chérubins Peu à peu le salon sétait rempli
de figures extraordinaires, comme on nen trouve
que dans les eaux-fortes de Callot et les
aquatintes de Goya en toute autre occasion,
jeusse été peut-être inquiet dune pareille
compagnie
11- Quant à la couleur, elle a quelque chose de
mystérieux qui me plaît plus que je ne saurais
dire. Le rouge, la couleur du sang, la couleur de
la vie, abondait tellement dans ce sombre musée,
que cétait une ivresse (OC II, p. 446)
12- La sinuosité des lignes est un langage
définitivement clair où vous lisez l'agitation et
le désir des âmes. Cependant se développe cet
état mystérieux et temporaire de l'esprit, où la
profondeur de la vie, hérissée de ses problèmes
multiples, se révèle tout entière dans le
spectacle, si naturel et si trivial qu'il soit,
qu'on a sous les yeux, - où le premier objet venu
devient symbole parlant. Fourier et Swedenborg,
l'un avec ses analogies, l'autre avec ses
correspondances, se sont incarnés dans le végétal
et l'animal qui tombent sous votre regard,
- et au lieu d'enseigner par la voix, ils vous
endoctrinent par la forme et par la couleur.
L'intelligence de l'allégorie prend en vous des
proportions à vous-même inconnues nous noterons,
en passant, que l'allégorie, ce genre si
spirituel, que les peintres maladroits nous ont
accoutumés à mépriser, mais qui est vraiment
l'une des formes primitives et les plus
naturelles de la poésie, reprend sa domination
légitime dans l'intelligence illuminée par
l'ivresse. Le haschisch s'étend alors sur toute
la vie comme un vernis magique il la colore en
solennité et en éclaire toute la profondeur. (OC,
pp. 375-376)
13- Paysages dentelés, horizons fuyants, perspectives
de villes blanchies par la lividité cadavéreuse
de l'orage, ou illuminées par les ardeurs
concentrées des soleils couchants, - profondeur
de l'espace, allégorie de la profondeur du temps,
- - tout enfin, l'universalité des êtres se
dresse devant vous avec une gloire nouvelle non
soupçonnée jusqu'alors. (OC, p. 376)
- La grammaire, l'aride grammaire elle-même,
devient quelque chose comme une sorcellerie
évocatoire les mots ressuscitent revêtus de
chair et d'os, le substantif, dans sa majesté
substantielle, l'adjectif, vêtement transparent
qui l'habille et le colore comme un glacis, et le
verbe, ange du mouvement, qui donne le branle à
la phrase. (OC, p. 376)
14- Les ombres se déplacent lentement, et font fuir
devant elles ou éteignent les tons à mesure que
la lumière, déplacée elle-même, en veut faire
résonner de nouveau. Ceux-ci se renvoient leurs
reflets, et, modifiant leurs qualités en les
glaçant de qualités transparentes et empruntées,
multiplient à linfini leurs mariages mélodieux
et les rendent plus faciles. (OC II, p. 423)
- livrognerie de Poe était un moyen mnémonique,
une méthode de travail, méthode énergique et
mortelle, mais appropriée à sa nature passionnée.
Le poète avait appris à boire, comme un
littérateur soigneux sexerce à faire des cahiers
de notes. Il ne pouvait résister au désir de
retrouver les visions merveilleuses ou
effrayantes, les conceptions subtiles quil avait
rencontrées dans une tempête précédente
cétaient de vieilles connaissances qui
lattiraient impérativement, et, pour renouer
avec elle, il prenait le chemin le plus
dangereux, mais le plus direct. (OC II, p. 315)
15- Il est vrai que lindividu est pour ainsi dire
cubé et poussé à lextrême, et comme il est
également certain que la mémoire des impressions
survit à lorgie, lespérance de ces utilitaires
ne paraît pas au premier aspect tout à fait
dénuée de raison. (OC, p. 385) - Edgar Poe dit que le résultat de lopium pour
les sens est de revêtir la nature entière dun
intérêt surnaturel qui donne à chaque objet un
sens plus profond, plus volontaire, plus
despotique.
- Sans avoir recours à lopium, qui na pas connu
ces admirables heures, véritables fêtes du
cerveau, où les sens plus attentifs perçoivent
des sensations plus retentissantes, où le ciel
dun azur plus transparent senfonce comme un
abîme plus infini, où les sons tintent
musicalement, où les couleurs parlent, où les
parfums racontent des mondes didées ? Eh bien,
la peinture de Delacroix me paraît la traduction
de ces beaux jours de lesprit. Elle est revêtue
dintensité et sa splendeur est privilégiée.
Comme la nature perçue par des nerfs
ultra-sensibles, elle révèle le surnaturalisme.
(OC II, p. 596)
16Max Milner, Limaginaire des drogues
- létat dans lequel vous plonge le haschich
ressemble trop à celui qui permettrait les
réalisations artistiques les plus conformes à
lidéal baudelairien pour ne pas en concevoir une
certaine rancœur contre cette drogue qui promet
ce quelle ne peut pas tenir. Il est vraiment
désespérant de songer quune cuillerée de la
confiture verte vous ouvre les portes dun
royaume enchanté dont on ne pourra, en tant
quécrivain, tirer aucun profit (p. 145)
17Dante et Virgile aux enfers.
18- On avait le poète romantique, il falait le
peintre. (OC II, p. 430) - Ses œuvres sont des poèmes, et de grands
poèmes naïvement conçus, exécutés avec
linsolence accoutumé du génie. (OC II, p. 431) - nen prend que la peau (OC II, p. 432).
- ouvre de profondes avenues à limagination
la plus voyageuse. (OC II, p. 431)
- par lintelligence intime du sujet et il lui
arrache les entrailles (OC II, p. 432) - Trop matériel, trop attentif aux superficies de
la nature, M. Victor Hugo est devenu un peintre
en poésie Delacroix, toujours respectueux de
son idéal, est souvent, à son insu, un poète en
peinture. (OC II, p. 432)
19Henri Heine Baudelaire
- En fait dart, je suis surnaturaliste. Je crois
que lartiste ne peut trouver dans la nature tous
ses types, mais que les plus remarquables lui
sont révélés dans son âme, comme la symbolique
innée didées innées, et au même instant. (OC II,
p. 432)
- un tableau doit avant tout reproduire la pensée
intime de lartiste qui domine le modèle, comme
le créateur la création. (Baudelaire, OC II, p.
433) - il est important que la main rencontre, quand
elle se met à la besogne, le moins dobstacles
possible, et accomplisse avec une rapidité
servile les ordres divins du cerveau autrement
lidéal senvole. (OC II, p. 433) - je choisis à dessein mes plumes les plus
neuves, tant je veux être clair et limpide (OC
II, p. 427)
20Dibutade ou l Origine du dessinJean-Baptiste
Regnault Jean-Benoît Suvée
21- Pour E. Delacroix, la nature est un vaste
dictionnaire dont il roule et consulte les
feuillets avec un œil sûr et profond (OC II, p.
433) - et cette peinture, qui procède surtout du
souvenir, parle surtout au souvenir. Leffet
produit sur lâme du spectateur est analogue aux
moyens de lartiste. (OC II, p. 433) - plus nette et plus calligraphique (OC II, pp.
433-434)
- hymne terrible à la douleur (OC II, p. 436)
- Une autre qualité, très grande, très vaste, du
talent de M. Delacroix, et qui fait de lui le
peintre aimé des poètes, cest quil est
essentiellement littéraire. (OC II, p. 596) - Delacroix affectionne Dante et Shakespeare, deux
autres grands peintres de la douleur humaine il
les connaît à fond, et il sait les traduire
librement. (OC II, p. 440)
22- DON JUAN AUX ENFERS
- Quand Don Juan descendit vers l'onde souterraine
- Et lorsqu'il eut donné son obole à Charon,
- Un sombre mendiant, lœil fier comme Antisthène,
- D'un bras vengeur et fort saisit chaque aviron.
- Montrant leurs seins pendants et leurs robes
ouvertes, - Des femmes se tordaient sous le noir firmament,
- Et, comme un grand troupeau de victimes offertes,
- Derrière lui traînaient un long mugissement.
23- Sganarelle en riant lui réclamait ses gages,
- Tandis que Don Luis avec un doigt tremblant
- Montrait à tous les morts errant sur les rivages
- Le fils audacieux qui railla son front blanc.
- Frissonnant sous son deuil, la chaste et maigre
Elvire, - Près de l'époux perfide et qui fut son amant,
- Semblait lui réclamer un suprême sourire
- Où brillât la douceur de son premier serment.
- Tout droit dans son armure, un grand homme de
pierre - Se tenait à la barre et coupait le flot noir
- Mais le calme héros, courbé sur sa rapière,
- Regardait le sillage et ne daignait rien voir.
24Delacroix, Scènes de massacre de Scio familles
grecques attendant la mort ou lesclavage
- Stendhal, Salons, Gallimard, Le promeneur ,
2002, pp. 93-94. - Baudelaire, OC II, p. 429, p. 440
25Delacroix, Scènes de massacre de Scio familles
grecques attendant la mort ou lesclavage
- Jai beau faire, je ne puis admirer M. Delacroix
et son massacre de Scio. (p. 93) - Un massacre exige impérieusement un bourreau et
une victime. Il fallait un Turc fanatique,
immolant des femmes grecques dune beauté
angélique (p. 94)
26Delacroix, Scènes de massacre de Scio familles
grecques attendant la mort ou lesclavage
- Je mets pestiférés au lieu de massacre, pour
expliquer aux critiques étourdis les tons des
chairs si souvent reprochés. (p. 429) - Dans plusieurs tableaux on trouve une
figure plus désolée, plus affaissée que les
autres, en qui se résument toutes les douleurs
environnantes ainsi la vieille, si morne,
si ridée dans Le Massacre de Scio. (p. 440)
27Delacroix, La Mort de Sardanapale
- Stendhal, op. cit., pp. 38- 39
- Baudelaire, OC II, pp. 593-594 p. 734.
- Walter Benjamin, Charles Baudelaire, Payot, 1982,
pp. 130 et sv.
28Delacroix, La Mort de Sardanapale
- M. Delacroix, un jeune peintre dun talent
considérable, vient dexposer ici un tableau
représentant Sardanapale mourant. Ce tableau
semble avoir été inspiré par le génie de lord
Byron la même énergie, la même profondeur dans
la détresse, et, si je puis dire, le même
satanisme, se retrouvent dans les œuvres du
peintre et du poète. (p. 38-39)
29Delacroix, La Mort de Sardanapale
- de très belles femmes, claires, lumineuses,
roses . Sardanapale lui-même était beau comme
une femme. - ce Sardanapale à la barbe noire et tressée, qui
meurt sur son bûcher, drapé dans ses mousselines,
avec une attitude de femme ce harem de
beautés si éclatantes. (p. 734) - M. Delacroix me paraît être lartiste le mieux
doué pour exprimer la femme moderne dans sa
manifestation héroïque, dans le sens infernal ou
divin. (p. 594)