Title: Wolfgang Wildgen Universit
1Wolfgang WildgenUniversité de Brême,
AllemagneLES BASES ÉVOLUTIONNAIRES ET
NEUROLOGIQUES DE LA SOCIALITÉ
- Contribution au colloque Individu et
socialité à Tunis (10 au 13 juin 2006)
2Plan de lexposé
- 1 IntroductionPremière partieLautisme comme
fenêtre à la socialité de lespèce humaine. - 2 Lautisme et ses causes neurales
- 2.1 Quelques faits sur lautisme
- 2.2 Perception des formes (gestalts) et
lecture du visage humain - 3 La theory of mind (ToM) et lévolution de
la socialité - 3.1 Théories subjectives de la pensée dautrui
- 3.2 Quelques considérations sur lévolution de
la socialité - 4 Le visage humain comme centre organisateur de
la socialité - Deuxième partieLa dynamique de la socialité et
de lindividuation - 5 Socialité et individuation
- 6 Conclusions
3Première partieLautisme comme fenêtre à la
socialité de lespèce humaine.
- Considérations neurologiques et évolutionnaires.
4Introduction
- Jean Piaget a au début de sa carrière de
psychologue en 1925 parlé dégocentrisme de
lenfant dans les premiers stades de sa
socialisation. Cet égocentrisme fut observé dans
le cadre dune école maternelle. Les soliloques
fréquents des enfants qui jouaient sans
lintervention dun adulte furent associés à une
forme dautisme, cest-à-dire de clôture de lego
vis-à-vis des autres enfants. Le point de départ
de Piaget fut une observation de Baldwin que
le nourrisson ne manifestait aucun indice dune
conscience de son moi, ni dune frontière stable
entre données du monde intérieur et de lunivers
externe, cet actualisme durant jusquau
moment où la construction de ce moi devient
possible en correspondance et en opposition avec
celui des autres. (Piaget, 1972 13)
5- Le problème central concerne pourtant lexistence
dun médium de la connaissance intellectuelle
Est-ce purement limage mentale (Piaget) ou
plutôt un langage daction (Vygotsky) ou un
prélangage, un médium symbolique avant
lapprentissage du langage social ? Entre
lindividu (le corps propre) et lautre (ainsi
que le monde) apparaît comme une sorte de médium
la pensée, la connaissance qui sera dans le stade
adulte surtout organisé à laide du langage. La
transition critique dans la constitution du moi
et de lautre, de lindividu et du social reste
pourtant opaque, ambiguë. Pour la rendre
accessible on a besoin dune stratégie
dobservation et dexpérimentation. Le phénomène
de lautisme, dont les bases neurologiques font
lobjet dun grand nombre de recherches
actuelles, nous servira de fenêtre pour élucider
cette transition critique.
6Lautisme et ses causes neurales
- Le concept dautisme a été formé dabord par
Bettelheim dans le contexte de la psychanalyse
qui avait distingué deux façons de penser La
pensée dirigée et la pensée non dirigée. La
pensée dirigée a des buts définis, elle est
consciente la pensée non-dirigée ou autistique
est sous consciente, elle veut satisfaire des
besoins, elle est strictement individuelle. La
pensée dirigée est socialisée surtout par
lemploi du langage, tandis que la pensée
autistique reste fixée à des images, des
activités corporelles, des mouvements (voir
Piaget, 1968 chapitre 1, 12). - Au début, lautisme fut considéré comme une forme
naturelle trouvée non seulement chez lenfant
(surtout avant 7 ans) et moins fréquent chez
ladulte, mais aussi dans le mythe et dans la
poésie.
7Quelques faits sur lautisme
- Je vais montrer quelques extraits dun rapport
télévisé sur lautisme diffusé à la fin avril
2006. - Ils concernent dabord un fait de perception et
les expériences reprennent des techniques
introduites par Johansson en 1976 (dans la
tradition gestaltiste de Michotte). On a fait des
expériences sur la perception du mouvement et la
perception du visage humain (1. et 2. vidéo) - En deuxième lieu ils concernent la catégorisation
des expressions émotionnelles. Les autistes ne
sont pas â même de différencier les émotions
mises dans les visages (3.vidéo).
8La perception des mouvements humains chez les
autistes
La personne autistique regarde les mouvement des
points sur lécran. Peut-elle reconnaître dans
certaines séquences les mouvement dun être
humain?
Voir extraits du filme de la série QuarksCo,
2006
9Le cerveau de lautiste lors des expériences
Les activités cérébrales des autistes pendant
lexpérience furent comparées à celles dun
groupe sans autisme. Certaines régions actives
chez les normaux pendant lobservation des
visages étaient passifs chez les autistes
Voir extraits du filme de la série QuarksCo,
2006
10- Le syndrome autistique ne peut être reconnu par
des méthodes diagnostiques quà partir de 18
mois, donc après les premiers stades dans
lapprentissage du langage. Les études
expérimentales qui ont comparé des individus
autistiques à des individus normaux (du même âge
mental) et à des individus avec dautres
déformations/lésions mentales ont montré que
lindividu normal à plutôt une préférence pour la
gestalt, la structure globale. Il a la tendance
de négliger les détails, les structures locales.
Il retrouve pour cette raison facilement le
prototype sous-jacent et par conséquent peut lire
des gestalts assez complexes telle que le visage
humain. Lautiste est plus rapide à retrouver les
détails il a la tendance de fixer son attention
à ces détails et à oublier la totalité. Le
prototype lui échappe facilement, et une gestalt
complexe le surmène.
11Lecture du visage humain et comportement social
Lecture des visage dans la situation
sociale Composition des traits partiels et
synthèse des traits. Déduction de limpression
globale dune information partielle (pars pro
toto)
Voir extraits du filme de la série QuarksCo,
2006
12- Si on assume que ces préférences et inaptitudes
existent déjà à un âge précoce (par exemple
depuis la naissance et les premières semaines),
lautiste ne trouve pas la porte qui souvre à la
pensée dirigée (au sens de Piaget) et aux
structures opératoires qui en suivent. - Comme le langage ou la capacité dune
auto-organisation du sémiotique qui sert alors de
base aux informations linguistiques fournies par
les parents, les frères et sœurs et dautres
enfants présuppose cette ouverture, laccès à un
apprentissage rapide et efficace du langage est
bloqué. - Dans le contexte de la thématique individu et
socialité une autre question liée à lautisme,
celle de la theory of mind , cest-à-dire de
la capacité de se faire une idée de ce que se
passe dans la tête de lautre a un grand intérêt,
parce que cette question peut éclaircir la genèse
et la structure de la socialité.
13La theory of mind (ToM) et lévolution de la
socialité
- Les recherches sur les théories subjectives de la
pensée dautrui ont été poursuivies sous les
noms theory of mind (ToM), mindreading
et understanding others . Ce phénomène est
certainement la condition cognitive de toute
socialité, car si lindividu nest pas à même de
distinguer son Ego de lautre et du monde qui
lentoure, détablir une corrélation entre sa
propre expérience et celle dautrui, sa propre
pensée et celles des autres, il na aucun accès à
la société et reste emprisonné dans sa
phénoménalité subjective et momentanée.
14- La distinction des entités physiques et mentales.
Un enfant de quatre ans a normalement acquis
cette distinction, tandis que lautiste est
retardé de ce point de vue. - Croyance fausse. Dans un test lenfant voit une
image avec le loup coiffé comme une grand-mère et
le chaperon rouge qui croît rencontrer sa
grand-mère. Elle doit faire la différence entre
son propre croire et celui de lautre. - Dans la même ligne on peut comparer la relation
entre voir et savoir et la compréhension du
vocabulaire de lactivité intellectuelle
penser, savoir, prétendre, espérer, imaginer,
songer, etc. par lenfant normal et lenfant
autiste. - Interprétation du regard de lautre en relation
avec ce que celui-ci pense ou désire. À lâge de
quatre ans les enfants normaux peuvent deviner si
lautre réfléchit (quand il dirige son regard
dans le flou) ou sil sollicite ou sintéresse à
un objet.
15Lévolution de la socialité
- Le comportement social des populations humaines
doit être considéré comme la conséquence - du comportement social de lespèce homo sapiens
sapiens, donc celle apparue en Afrique de lEst
entre 300.000 (séparation des lignées de lhomo
erectus/ergaster) et la migration en Eurasie
après 100.000 B.P. - du comportement social des lignées apparues
depuis la séparation des ancêtres de lhomme et
du chimpanzé (après 6 millions B.P.) avec les
espèces intermédiaires dans la lignée de
lhomme lHomo australopithecus et l Homo
erectus) - des comportements sociaux des primates.
16Quelques résultas de léthologie comparée
- Vauclair (1996 127 s.) discute la distinction
entre imitation et apprentissage social chez les
animaux. Dans lapprentissage social un individu
observe un autre (de la même espèce) quand il
déploie un comportement ou résout un problème.
Souvent il apprend ce comportement plus vite
après son observation de lautre que dans une
série dexpériences guidées (par un
expérimentateur). Vauclair dit - It is striking, and somewhat paradoxical, to
note that the evidence for imitation is stronger
for birds and some small mammals than for
primates.
17- Voelkl et Huber (2000) ont pu monter que la seule
observation de lautre et lobservation que
lautre observe lobservateur peuvent guider le
comportement de certains oiseaux (corbeaux,
perroquets montagnards de la Nouvelle Zélande) et
que les petits singes (Callithrix jacchus)
passent facilement le test de Piaget sur la
permanence dobjets (cachés). On peut donc
assumer que même dans différents ordres
zoologiques un comportement social comparable au
comportement humain est déjà réalisé.
18- Povinelli et ONeill (2000 482 s.) considèrent
que le comportement social des homme a des
sources qui remontent 60 millions dannées
jusquaux singes qui peuplaient les forêts
dAfrique et de lEurasie. Ils proposent une
série de strates dans notre comportement social - Le strate des mécanismes très simples pour
interpréter les mouvements et les actions
dautres individus. Ceux-ci ne présupposent
aucune conscience de lautre et de ses états
mentaux. - Lespèce humaine a probablement franchi un seuil
critique avec le développement dune conscience
sociale. Cette transition fut liée à lévolution
dun protolangage qui pouvait servir
dobjectivation aux attitudes et aux projections
mentales.
19- Premack (1990) postule trois stades basés sur la
description comparative des chimpanzés et des
enfants humains - Une interprétation intentionnelle basée sur
la perception dentités automotrices (sans
conscience de lautre). - Un système social primitif qui associe aux
mouvements perçus une évaluation dur
(agression) tendre (aide) et une intensité
sociale ennemi ami. - Une théorie de la mentalité (ToM), qui interprète
le comportement de lautre en termes mentaux,
tels que lautre perçoit, il désire, il croit.
20- Ces stades sont récapitulés dans le développement
de lenfant humain, qui peut déjà distinguer
quelques jours après sa naissance des visages
tristes ou joyeux, après cinq mois des
vocalisations tristes ou joyeuses. À six mois il
sengage dans des conversations émotionnelles
(sans parler) et à neuf mois il comprend des
gestes, qui demandent quelque chose
( request ). - La socialité aurait donc une longue évolution
(une profondeur de 60 millions) et une transition
critique dans la représentation explicite (par le
geste, la voix) des représentations implicites
(acquises dans lapprentissage social). Les
formes symboliques (gestes, langage) auraient
permis ou simplement stabilisé et déployé cette
transition entre une socialité implicite et une
socialité explicite.
21Le visage humain comme centre de la socialité
- Le visage humain avec lœil, le regard, sa
direction, le sourire, les pleurs, la bouche, qui
sourit, la voix qui crie, rie, parle est le
centre majeur de la communication sociale chez
lhomme (les mains constituent un deuxième
centre). Pour cette raison, la perception du
visage dautrui, la lecture de ce visage est la
clé à la socialité humaine. Le développement de
lautiste se distingue de celui de lindividu
normal surtout dans la perception des visages.
Des observations à laide de la tomographie
magnétique et autre ont pu montrer que chez
lautiste lobservation dun visage active plutôt
les régions qui chez le normal réagissent quand
il observe des objets. Lautiste ne développe pas
lexpertise dans linterprétation du visage,
telle que lindividu normal latteint.
22Développement émotionnel
- Le développement rapide des relations
émotionnelles enfantmère prépare lintroduction
d une cognition guidée par la mère et
lintroduction du langage (voir Mottron, 1987).
Il ouvre la porte qui mène à la compétence
sociale et linguistique. Lautiste ne réussit pas
à franchir ce seuil de la socialité communicative
ou il ne peut le franchir que par un
apprentissage explicite, un effort intellectuel
(surtout chez les autistes très intelligents). Il
se trouve alors dans la situation dun étudiant
qui a appris une langue à létranger sans
lappliquer et qui doit sintégrer dans une
communauté linguistique étrangère. Il a dans sa
mémoire une masse des mots appris et de règles
grammaticales, mais la pragmatique de lemploi
situationnel lui manque.
23Expériences avec des autistes
- Le sujet autiste regarde une série dimages.
- Peut-il reconnaître les émotions exprimées par
ces images? - Agité ou désireux/ persuadé (A)
- Fâché (A) - inquiet
- Prudent - ?
- Indifférent - ?
- Les réactions des autistes (A) sont souvent
différentes de celles des normaux.
Voir extraits du filme de la série QuarksCo,
2006
24Socialité et individuation
- Si la socialité a des sources évolutionnaires et
cognitives telles que je les ai montrées, on peut
se demander quelles sont les sources de
lindividuation dans une espèce extrêmement
socialisée telle que la nôtre. - Dans le contexte de cette contribution je veux
dabord questionner les bases cognitives de
lindividuation et cela nous fait revenir au
phénomène de lautisme et de la ToM (theory of
mind). - Chris et Ute Frith (2000) discutent le rôle du
cortex frontal (médial) dans un test qui
demandait aux sujets de se concentrer sur leurs
propres pensées (sans relation à un stimulus),
sur leurs sentiments et leurs actions.
25Le rôle du cortex frontal (médial)
- Le cortex frontal est le lieu dune projection
interne de ce que lindividu pense, sent, fait.
On peut en déduire que lindividu représente ses
propres activités et ses états internes dans la
région du cortex frontal. - Par le lien quil peut établir entre le
comportement de lautre observé et les
catégorisations de ce comportement dans le cortex
droit il peut dune part comparer son état
interne (cortex frontal) avec des états mentaux
sous-jacents au comportement de lautre. Il peut
comprendre ce comportement en termes de
motivations mentales. - Dautre part il peut distinguer entre cette
interprétation de lautre et linterprétation de
ces propres idées, sentiments, intentions et par
la suite construire une image de son Ego par
différence à celui assumé exister chez les
autres.
26Deuxième partieLa dynamique de la socialité et
de lindividuation
- Le rituel et la restriction des degrés de liberté
de la communication individuelle
27Les rituels sociaux et lautisme
Beaucoup de situations sociales sont hautement
ritualisées. Lindividu doit apprendre ces
rituels et trouver sa place dans le réseau
social. Ceci demande des capacités cognitives qui
manquent souvent à lautiste.
Voir extraits du filme de la série QuarksCo,
2006
28Les relations sociales et les systèmes de
contrôle familial (selon Douglas et Bernstein)
- Les sociétés sont différentes quant à la
stabilité et La densité des relations sociales.
Ainsi les sociétés pygmées sont extrêmement
spontanées et flexibles beaucoup de sociétés
sédentaires classiques furent hiérarchisées et
les rituels religieux (et autres) jouaient un
rôle central. Les sociétés modernes
industrialisées ont une tendance anti-rituelle et
leurs ouches moyennes (de promotion sociale)
favorisent les initiatives individualisées. - À légard des ces sociétés, Bernstein a distingué
entre un style de contrôle familial positionnel
(du prolétariat traditionnel) et personnel (des
couches moyennes).
29Les valeurs dans un famille avec contrôle
personnalisé
Lindividuation est surtout le but de léducation
personnelle, typique pour les familles qui
sadaptent à des contextes sociaux très variables
et sans une tradition rituelle. Elle caractérise
dans les sociétés industrialisées la couche
moyenne avec un désir de promotion sociale.
domaines de valorisation (Douglas) Famille avec un contrôle personnalisé
Vertu cardinale Le succès personnel, lengagement pour lhumanité
Péché cardinal Fautes individuelles et collectives généralisées
Lidée du moi Le sujet pour lui seul
30Finesse et variabilité du système social et
linguistique
- La classification des comportements sociaux et le
langage sont différenciés en vue de leur finesse
ou ampleur. Si la société donne un grand poids au
système collectif des classifications, celui-ci
sera assez simple mais stable (prévisible). Ceci
est le cas pour une structure hautement
ritualisée. - Si la société permet des systèmes de
classification différenciés au niveau privé, donc
une grande variabilité au niveau collectif, le
système sera complexe au niveau individuel et
plutôt instable (imprévisible) au niveau de la
partie partagée par tous.
31La dérivée individualiste
- La dérivée individualiste est donc une
conséquence dun type dorganisation sociale, qui
favorise le mou-vement social, les adaptations
permanentes et réduit les catégorisations
collectives stables, les formes rituelles (ceci
concerne aussi la religion). La dynamique qui
relie individu et société a dune part des
fondements cognitifs (qui renvoient à lévolution
de notre espèce) et dautre part elle dépend de
lévolution culturelle, des formes sociales
dominantes et de lorganisation sociale des
partitions de la société (des classes sociales,
des groupes profession-nelles, des enclaves
culturelles). Le langage est dun point de vue
sociologique/ethnologique une forme qui reflète
cette structure sociale.
32Conclusions
- Les faits que jai rapportés dans cet exposé
montrent que la question individu et société
demande une considération des résultats obtenus
en psychologie (neuropsychologie) en
anthropologie évolutionnaire et en sociologie
(éthologie). - Lautisme nous montre les conditions biologiques
et neurologiques de la sociabilité humaine tandis
que le considérations en sociologie du
comportement symbolique montrent les tendances
dindividuation qui sont ou bien repoussées par
la structure sociale ou permises, même
sollicitées. Les formes symboliques et surtout le
langage jouent un rôle clé dans cette dynamique.
33Je remercie les collègues de Tunis pour leur
invitation et leur hospitalité et les philosophes
pour l intérêt quils montrent à légard des
réponses transdisciplinaires aux questions posées
pour ce colloque.